Page:Zetkin - Souvenirs sur Lénine.djvu/21

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
15
SOUVENIRS SUR LÉNINE

res, mais nous nous croyons obligés de montrer que nous sommes « au niveau de la culture contemporaine ». Moi, j’ai le courage de me montrer « barbare ». Je suis incapable de célébrer dans les œuvres de l’expressionnisme, du futurisme, du cubisme et autres « ismes » les plus hautes manifestations du génie artistique. Je ne les comprends pas. Je n’y prends aucun plaisir ».

Je dus avouer que, moi aussi, j’étais dépourvue de l’organe grâce auquel j’aurais compris que la forme artistique dans laquelle s’exprime une âme inspirée soit un triangle au lieu d’un nez, et que le besoin d’agir en révolutionnaire fasse du corps organisé de l’homme un sac informe posé sur deux bâtons, et muni de deux fourches à cinq branches. Lénine se mit à rire de bon cœur.

« Eh oui, ma chère Clara, il n’y a pas à dire ; nous deux, nous sommes des vieux. Il faut nous contenter d’être encore pour le moment des jeunes en révolution, et de marcher les premiers sur ce terrain-là. Mais pour l’art nouveau, nous ne pouvons plus suivre ; nous traînons la jambe et nous restons derrière.

« Mais, poursuivit-il, ce qui importe, ce n’est pas notre opinion sur l’art. Ce qui importe, ce n’est pas non plus ce que l’art procure à quelques centaines ou même à quelques milliers d’hommes sur une population qui, comme la nôtre, en compte de nombreux millions » L’art appartient au peuple. Il faut qu’il pousse ses ra-