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compagnie de ses femmes, ne visitait plus que rarement le vieux comte, et profitait avec empressement de toutes les occasions où elle pouvait être seule ; cependant, quoiqu’elle se fût bien aperçue de ce changement, et se demandant quelle pouvait en être la cause, ce changement était resté impénétrable pour elle, et, par un mouvement instinctif naturel à la femme elle craignait que quelqu’un ne le devinât avant elle. Ce sentiment qui s’emparait ainsi de toutes ses pensées et allait toujours croissant quoi qu’elle pût faire, lui inspirait de sourdes alarmes ; plus d’une fois déjà il lui était arrivé de courir à la chapelle et de se jeter au pied de l’autel, en demandant à Dieu de mettre un terme à ses angoisses ; mais Dieu restait sourd à ses prières, et elle demeurait en proie à un délire dont il lui était impossible de se rendre maîtresse.

Pialla n’avait d’ailleurs personne à qui confier ses vagues terreurs ; ses femmes étaient toutes dévouées à Alain ; et, elle ne l’ignorait pas, Alain était emporté, violent, cruel, et eût peut-être deviné ce qui se passait dans le cœur de sa fiancée et en eût conçu de jalouses colères. Le chapelain, bien que placé dans une position presque indépendante par son caractère sacerdotal, ne lui inspirait pas beaucoup plus de confiance ; elle le voyait rarement. Attaché à la personne du fils du comte par des liens étroits d’amitié, il ne témoignait à Pialla que de la déférence ou du respect, jamais de l’amitié ni de la sympathie : c’était un homme profondément égoïste et fort peu compatissant aux peines d’autrui. Il possédait des terres exemptes de charges, un cheval, des fourrages, des vêtements de laine et de lin qu’il tenait de la munificence du chef, et quand il avait béni les mets de la table de ce dernier, chanté l’oraison dominicale et célébré la messe, assisté de ses