bres dont la masse, d’elle-même, formait une ou deux vagues.
Autour d’elle, tout ce qui se passait avait disparu. Elle ne voyait plus rien lorsqu’on mangeait, dans la cuisine ; ni frères ni sœur, ni ce vulgaire fourneau qui lui faisait honte, naguère ; ni la casserole flanquée sur la table ; ni Claude qui trempait, dans le jus du rôti, son morceau de pain jusqu’à l’ongle ; ni le père qui prenait à pleine main les os pour les ronger — ce dont Marie n’avait jamais pu le déshabituer. Indifférente à tout, Sabine n’était sensible qu’à un regard qui partait de l’autre bout de la table pour se poser sur elle, pour darder sur elle comme une flèche clandestine qui s’enfonçait jusqu’à son cœur. C’était le regard de Grand’Mère auquel on ne pouvait rien dérober.
Grand’Mère seule avait vu qu’une autre Sabine était née.
Le vendredi, le samedi, Sabine avait confectionné, rue des Quatre-Frères, de ravissants petits plastrons d’organdi d’après certains modèles que, l’autre jour, dans le grand magasin, aux côtés de Christian, elle avait contemplés comme en un rêve féerique. Un mariage exquis du tulle et de la mousseline ; un nuage blanc ; toute la poésie qui régnait dans l’esprit de la petite modéliste inspirée. Mme Leriche en tombait des nues :
— C’est toi qui as fait cela, ma Sabine ?
— Mais oui, Mamy ; c’est le genre de ce que j’ai vu dans les magasins, mais la disposition des ruchés est de moi !
— Eh ! bien, ma chérie, cela c’est une réussite !
— Tous les bonheurs à la fois… songeait la jeune fille.
À la maison, elle restait tellement inattentive à ce qui se faisait ou se disait alentour, — ayant toujours un livre à la main, ou bien se retirant dans son alcôve pour y rêver à son aise, — que le dimanche, à l’heure du déjeuner, elle fut clouée sur place en voyant arriver un jeune soldat auquel la famille Cervier fit fête. Durant plusieurs secondes, elle se demanda : « Qui est-ce ? » Sa haute taille le révélait assez, pourtant, le grand Henri,