vers les grands magasins où elle flânait avec délices des après-midi entiers.
Et qu’on n’aille pas croire qu’elle prenait alors, au Métro, des secondes classes comme tout le monde. C’étaient des journées de grande comédie pour Sabine où elle s’offrait à elle-même le spectacle qu’elle jouait. Complètement évadée jusque par le souvenir de l’impasse Saint-Charles dont la médiocrité la tuait, elle était une jeune fille de la haute société qui s’en allait frayer dans Paris avec des gens de son milieu, c’est-à-dire qu’elle pénétrait d’emblée dans la voiture des premières. Là, quelque foule qu’il y eût, elle était bien sûre qu’un monsieur, jeune ou vieux, lui céderait son siège. Combien lui plaisait cette politesse, ce discret hommage à sa délicatesse féminine ! Pourquoi n’était-ce pas de règle aussi chez les ouvriers ? Puis il flottait là une odeur spéciale, un léger parfum de luxe issu de tous ces corps d’oisifs, de raffinés à peine sortis de leur salle de bains. Et l’on se regardait avec discrétion, avec ce calme et illisible coup d’œil des gens du monde. Et ce qui lui était agréable alors, c’était de ne pas douter que ceux-ci ne la prissent pour une des leurs, car enfin, mise comme elle était, et à cette place, qui aurait pu discerner en elle la fille d’un compagnon serrurier ?
Mais après cette première scène de sa comédie, la seconde se jouait dans les grands magasins les plus raffinés par leur luxe et par leur clientèle. Évidemment, elle se gardait bien de rien acheter tout d’abord. Il fallait le temps de choisir, de soupeser les objets, de toucher le grain des soieries, de faire mousser une lingerie, de posséder du bout du doigt un des bijoux désirés. Sabine n’accordait aucune attention aux vendeuses. Mais les clientes absorbaient son intérêt. Telle vieille douairière, harassée de piétiner dans la poussière, écrasée de chaleur, recrue d’hésiter et d’hésiter encore et qui, le face-à-main dressé, parlait avec flegme aux jeunes filles du rayon, lui semblait inimitable dans sa hauteur — sans plus. Chez d’autres plus jeunes, elle étudiait l’art de se déganter pour faire jouer une voilette, une dentelle, une gaze sur la peau de la main, sans que le moindre désir s’allumât dans leurs yeux ni