elle se tiendrait du matin au soir en attendant le retour de l’ouvrier fumiste…
Cependant, chez les Cervier, la vie continuait dans une douce monotonie. Le père s’alourdissait un peu : les dernières violences de sa maturité s’éteignaient en lui, se tempéraient. Le soir, quand il rentrait de l’atelier et qu’il s’emparait du Dictionnaire, — il en était au cinquième tome, maintenant, — c’était pour en lire des articles tout haut à sa « bonne femme » ainsi que, non point par grossièreté mais par dévotion, il appelait Marie… Louis, à l’atelier, passa ouvrier qualifié, et Maurice, vendeur au rayon de chemiserie dans son magasin de nouveautés.
Et il y avait dans cette maison de l’impasse Saint-Charles, un tendre et subtil éclat de félicité, de tranquillité heureuse. Eux, ceux qui l’habitaient, ne s’en rendaient pas compte. Tout marchait bien, oui. Mais on ne le notait même pas. N’était-ce pas naturel ? Et personne ne s’avisait que le régulateur secret de cet ordre, de cette harmonie, le metteur en scène de cette pièce sereine que jouaient les sept personnages familiaux en équipe si accordée, c’était Grand’Mère.
Voici bientôt trois ans et demi qu’elle est Ià… Et, aujourd’hui, il semblerait impossible de se passer d’elle, toujours vigoureuse et alerte malgré ses soixante et onze années. C’est elle qui suppléait en tout Marie, souvent languissante et oublieuse. Prête de bonne heure, le matin, elle sortait la première de son lit pour préparer aux travailleurs un café bien chaud. Marie était servie au lit. Elle protestait bien :
— Mais non, Grand’Mère, ce sont les rôles renversés ! N’est-ce pas moi qui devrais vous gâter ainsi ?
— Taisez-vous et buvez chaud, ma petite fille, répliquait la vieille femme. C’est ma joie de vous dorloter !
Le marché ? C’est elle qui s’en allait, le filet au bras, le faire, chaque matin, aux petites voitures du carrefour. La cuisine ? Elle l’avait renouvelée. Les hommes ne mangeaient plus, sans cesse, les mêmes ragoûts. Elle semblait jouer avec les cent manières d’accommoder les aliments. Les palais étaient d’abord étonnés, puis ravis.