merce. Enfin, se payant d’audace, elle-même posa une question :
— Et vous, vous travaillez dans la maison de votre père ?
— Non, dit-il ; mon père est mort alors que j’étais un tout petit garçon. Moi, je suis ramoneur.
Sabine se mit à rire. Elle trouvait très spirituelle chez ce jeune homme si distingué, si raffiné, cette plaisanterie de s’intituler ainsi, lui, patron !
— Cela vous amuse, continua-t-il, d’apprendre que je travaille dans la suie et dans la tôle des tuyaux ? Mais est-ce que vous trouvez qu’il y a de sots métiers ?
— Il n’y a pas de sots métiers, reprit Sabine, mais j’aperçois tout de même une différence entre commander et faire.
— Moi, Mademoiselle, je suis du côté travailleur et je n’en ai point honte.
La riposte que Sabine, atterrée, ne trouvait pas, il ne devait pas l’entendre ce jour-là. Louis, agacé de voir son camarade accaparé par sa sœur, lui tapa sur le bras :
— Aujourd’hui, c’est toi qui vas nous mettre en retard, mon-z-ami ! Allons, bois ton café et qu’on fiche le camp en vitesse !
Il avait raison : l’heure marchait et le grand Henri avait trop pris dans les stades l’habitude de la discipline pour se laisser retarder par une question que, cependant, il frémissait de laisser en suspens. Il fit seulement à Sabine un adieu sensiblement plus long, plus appuyé qu’aux autres ; elle eut le temps de voir, dans le fond de ses prunelles gris fer et douces comme le velours, une interrogation angoissée, et de sentir la lourde main du jeune athlète trembler sur la sienne. Et c’est là-dessus qu’il était parti, sans plus, lui laissant au cœur cette flèche : « Mais, Mademoiselle, je suis du côté travailleur… »
Alors, le château de son rêve ? Fallait-il y renoncer et, au lieu de la grande vie espérée, partager celle d’un ouvrier, comme avait fait sa mère ?
Son cœur en défaillait.
Personne à la maison, les jours suivants, ne s’aperçut