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LE GRAND HENRI

coincé entre sa conscience de sportif et sa gentillesse naturelle qui aurait voulu tout accepter du père de son ami.

— Ça m’est défendu, surtout avant une séance.

Enfin il avala le vin prohibé et on les entendit bientôt dégringoler le mauvais escalier aux petits pavés disjoints.

À table, après leur départ, la famille Cervier ne tarissait pas sur le compte du grand Henri.

— Un beau garçon !

— Et si poli !

— Et une jolie figure.

— Dommage qu’il soit si grand.

— Mais ce n’est pas un défaut, cela !…

C’était Sabine qui avait énoncé la dernière opinion. Depuis la seconde où l’ami de Louis, ce grand Henri dont il leur rebattait les oreilles depuis des semaines, avait poussé la porte et surgi là, en plein déjeuner de famille, avec ce prestige, cette supériorité physique de la taille qui surprend, qui s’impose comme le premier signe d’autorité d’un noble athlète, Sabine toujours prête à s’enthousiasmer pour ce qui sort des règles communes sentait en elle une drôle d’allégresse, inconsciente, indéfinissable, le contentement d’avoir entrevu quelqu’un de mieux que les autres. Elle se rappelait aussi que, le temps que Louis s’habillait dans sa chambre, le grand Henri l’avait regardée lui aussi avec une apparente surprise. Sa force de dix-neuf ans s’accompagnait étrangement d’un coup d’œil bien doux. Sabine ne songeait même pas à dissimuler l’admiration qui l’avait envahie.

— Il avait un chic avec ce long pardessus !

— C’était de la confection, dit, en prenant, après le dessert, le café du dimanche, Maurice le vendeur aux nouveautés ; mais de la bonne. Ça vaut quatre cents francs comme un sou, un raglan pareil !

— Il est peut-être aussi dans le commerce ?

— Penses-tu ! dit Claude qui, depuis longtemps, le soir, dans la chambre des garçons, entendait parler du grand Henri. Il est fumiste !

Sur ce mot on lança des plaisanteries, On s’efforça de donner au terme de fumiste son sens péjoratif :