Mais Marie concevait quelque scrupule de lui abandonner tout le travail.
— Laisse donc, femme, dit Jean Cervier ; tu ne vois donc pas qu’elle est fière comme un coq ? Et ça lui donne l’impression de gagner sa croûte que de rester préparer notre frichti.
Marie comprit que c’était vrai.
— Mon pauvre Jean, se disait-elle, tout ouvrier qu’il soit, il est plus délicat que moi ; il va plus loin dans le cœur des gens…
Ils rentrèrent à la nuit. La soupe était fumante sur la table ; l’omelette toute battue, prête à être sautée à la poêle, les légumes mijotant au coin du fourneau. Rien de ces retours éreintants des autres dimanches ou Marie fatiguée devait s’affairer à cuisiner pour les enfants mourant de faim. Ils n’eurent que la peine de se mettre à table. Et, tout naturellement, la grande vieille femme silencieuse les servit.
— Laissez donc, Grand’Mère, je vais le faire.
— Non, c’est moi. Reposez-vous !
Cependant, toute la semaine qui suivit, elle courut pour des ménages. L’épicier disait :
— Donnez votre nom au boucher.
Le boucher :
— Inscrivez-vous donc chez la crémière, c’est le mieux.
Et la crémière :
— Pour moi, le boulanger vous trouvera ça.
Mme Leriche, la mercière, promit de s’en occuper près de ses clientes. Elle, la première, osa poser à l’inconnue la question délicate :
— Avez-vous des certificats ?
— Non, répondit celle-ci, je les avais détruits quand j’ai voulu mourir afin qu’il ne reste plus trace de moi.
— C’est regrettable, dit la mercière.
— Ne vous en faites donc pas, Grand’Mère, déclarait Jean Cervier. Nous ne sommes pas pressés de vous voir aller travailler chez les autres. Ici, vous ne mangez pas votre pain dans la paresse, nom d’un chien ! Marie se repose depuis que vous êtes là. Elle en avait fichtrement besoin. C’est moi qui vous le dis !
Le soir au lit, dans leur belle chambre Louis XV