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L’ÉNIGME

— Grand’Mère, maintenant, j’aimerais mieux aller avec vous !

Grand’Mère ! Le mot courait de bouche en bouche. Il avait non seulement improvisé un état-civil à la pauvre rescapée, mais fixé les rapports qui allaient s’établir entre elle et ses hôtes. Elle n’était plus la personne douteuse, l’énigme vivante dont on était séparé par un gouffre d’inconnu. Elle commençait une nouvelle vie sous le signe de ce nom si doux. Demain ou après-demain, ou dans huit jours, quand elle aurait trouvé du travail et s’en irait, on ne la perdrait pas de vue. Elle viendrait, par exemple, souper le dimanche, comme font les vraies grand’mères. Les enfants, même les parents Cervier ne l’appelleraient plus autrement.

Ce jour-là, on mit à Blanchette sa robe bleue. Sabine enfila sa petite jaquette grise du dimanche et noua coquettement un large ruban sur ses cheveux frisottants, encadrant ce visage déjà fin et allongé qui annonçait pour avant peu une bien jolie adolescente. À Claude, il fallut de force ôter sa blouse.

— Tu comprends, mon Claude, pour aller dans les quartiers riches !

— Je me fiche des beaux quartiers, hurlait Claude, j’aime mieux ma blouse que ma veste du dimanche qui me serre les côtes !

Mais, dès la cour, il était rasséréné. C’était bon de s’en aller ainsi en ballade avec une Grand’Mère qui a l’œil à la traversée des rues, qui connaît le chemin, qui ne vous perdra pas dans les quartiers lointains, ainsi que fait Sabine qui les égare parfois, comme le Petit Poucet sa bande de frères.

Il est tombé une averse. Ça fait briller le soleil sur l’asphalte. On en est tout ébloui. Ici les maisons sont fichtrement écartées, de chaque côté de la chaussée, pense Claude. On ne peut pas voir ce qui se passe chez les voisins comme chez lui. Ce doit être triste. Maintenant, il veut compter les autos et n’y parvient pas. Il y en a trop et elles filent trop vite.

Mais voici la verdure qui commence. Le sable mouillé qui a remplacé l’asphalte a pris une couleur un peu rousse et les talons s’y enfoncent. À droite et à gauche,