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GRAND’MÈRE

ne pouvait donner à personne parce que Bonne-Maman Cernier était morte, et que Mme Leriche, la mercière, qui paraissait si jeune, préférait Mamy qui ne la vieillissait pas ; ce nom qui est comme un acte de confiance et d’abandon, de respect et d’amour, auréola aussitôt la mystérieuse vieille femme comme l’eût fait un nouveau baptême. Malgré l’ombre noire où se dérobait son passé, il lui donnait une personnalité bien définie désormais. Son véritable nom restait inconnu. Il s’évanouissait avec les années qu’elle voulait voir abolies — et c’était son affaire, après tout ! Mais son nom d’aujourd’hui se trouvait inscrit dans toute sa personne. Elle n’en avait plus d’autre. C’était « Grand’Mère » c’est-à-dire quelqu’un de vénérable, de sûr, de sage, d’aimant, sur qui l’on pouvait s’appuyer sans rien craindre. C’est si bon, les bras ouverts d’une grand’mère qui se tendent ! C’est si doux, l’oreille d’une grand’mère qui vous écoute.

Marie Cervier, toute épanouie d’avoir trouvé un vocable pour cette anonyme qu’elle ne savait comment appeler, s’écria en riant :

— Grand’Mère ! eh oui, c’est gentil de pouvoir vous donner ce titre !

Mais la vieille, encore affaiblie par des privations sans doute fort longues, supportait mal les fortes émotions. Elle dut recevoir là une fameuse secousse car sa tête s’infléchit un peu en arrière et elle chercha des yeux une chaise pour s’asseoir.

— Chers petits, prononça-t-elle tout bas en caressant les cheveux cabrés de Claude et la soie blonde de Blanchette, pendant que les deux enfants se pressaient contre elle, suppliants, que vous êtes gentils ! Certainement oui, Grand’Mère ira vous promener. Et, si cela vous plaît, nous irons jusqu’aux Jardins de la Tour Eiffel.

Alors la grande Sabine toute prête à partir pour Ia mercerie se ravisa :

— Moi aussi, je voudrais vous accompagner, Grand-Mère.

— Mais tu dois aller prendre une leçon de couture, m’as-tu dit, ma chérie.