Page:Yver Grand mere.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
30
GRAND’MÈRE

Sabine non plus n’était pas fâchée de ce qui pouvait revaloriser son père à qui elle sentait bien que Mamy ne pardonnait pas de n’être qu’un ouvrier.

— Votre maison n’est pas un hôtel, mon enfant. Moi, je ne suis pas tranquille de vous voir cette mendiante sur les bras.

Sabine prit comme une injure personnelle cette épithète de mendiante lancée à sa protégée. Elle était froissée, rejeta le roman d’amour dans la vitrine et se leva pour s’en aller d’ici où ce n’était pas l’usage qu’on la contrariât. La mercière la retint, prit dans un tiroir un petit coupon d’étoffe blanche légère, vaporeuse, et, pressée d’amadouer la demoiselle :

— Tiens, pour t’apprendre à coudre, je vais te tailler une blouse là-dedans et c’est toi qui la feras d’après le modèle qui est sur le mannequin, en vitrine.

Les yeux de la petite fille virèrent sur la jolie figurine de la montre à qui elle rêvait de ressembler. Avec son minuscule chapeau coquin planqué un peu de travers, ses yeux si longs, sa bouche si petite, et toutes les charmantes frivolités dont cette poupée se paraît, c’était pour Sabine le critérium des élégances. Justement, ce soir, la figurine était en blouson de batiste blanche, un blouson si léger, si parcouru de haut en bas, au ras des petits plis, de volants tuyautés bougeant au plus léger souffle que, lâché dans les airs, il eût volé comme un grand oiseau de mousseline. Elle eut aux lèvres un imperceptible tremblement d’envie.

— Je ne saurai jamais, Mamy !

— C’est bien pour cela que je te l’apprendrai, petite sotte !

Et achetée par sa coquetterie, Sabine resta au magasin.