veux blonds ne blanchissaient pas, paraissait à peine plus vieille que sa fille tant elle était bien coiffée, poudrée, soignée. Personne ne se serait douté qu’elle avait bien passé la soixantaine. Elle était assise au comptoir, ce petit tribunal exigu face à la porte, quand Marie entra en coup de vent, nu-tête, un filet de provisions au bras, mais bien boutonnée dans un long paletot de drap sombre et moelleux.
Et, toute essoufflée de s’être hâtée, elle déroula devant sa mère le drame de la veille.
— C’est Jean qui a voulu garder la pauvre vieille, ajouta-t-elle en finissant. Il a dit : « Chez les Cervier, il y aura toujours un morceau de pain pour qui n’en a pas. » Nous lui avons improvisé une chambre dans le cagibi où l’on serrait les légumes, avec le lit pliant de bonne-maman Cervier.
La mercière qui gardait de sa jeunesse un rire facile, s’écria :
— Eh bien ! ma pauvre enfant, je ne te vois pas débarrassée de cette vieille sorcière, telle que tu me la dépeins. Vous verrez, vous verrez ! Elle va s’incruster chez vous !
— Ah ! Maman, tu ne la connais pas. Ce matin même, à peine levée, elle parlait déjà de s’en aller. Je n’ai pu la retenir qu’en lui faisant remarquer les haillons dont elle est habillée qui l’empêcheront toujours de trouver de l’ouvrage. Alors, ma petite Mère, je venais voir si tu n’aurais pas une vieille jupe, un bout de tissu pour la nipper proprement.
— Ce n’était pas assez d’avoir épousé un compagnon serrurier, voici maintenant que tu attires chez toi la racaille.
— Oh ! Maman, cette pauvre femme n’appartient pas à la racaille. Elle a tout d’une personne « bien » et qui aurait vécu dans l’aisance.
— Pire, alors, ma fille ! C’est une vieille dévergondée que l’âge laisse sans ressources. On ne reçoit pas ainsi chez soi n’importe qui sans références. Lui avez-vous seulement demandé à voir ses papiers ?
— On ne demande pas ses papiers avant de le sauver à quelqu’un qui veut se jeter à l’eau !
De mauvaise grâce, la mercière donna un petit mé-