le bien-être. Non, non ! Comme si elle était une princesse, on la traiterait !
Et les deux aînés ayant descendu du grenier une caisse, on y entassa les pommes de terre avec les carottes qui s’y mêlaient. Les nippes furent dépendues. Il y avait au grenier un placard vide où on les accrocha. Le lit de la bonne-maman Cervier déplié, on y mit des draps blancs, deux bonnes couvertures. Louis, l’apprenti, qui avait toujours trop chaud, se dessaisit orgueilleusement de son beau couvre-pieds de satin rose. Et comme il y avait dans la chambre des parents, de chaque côté de la cheminée, deux fauteuils imitation Louis XV avec leur petit bouquet de fleurs et leur nœud de rubans sculpté au sommet du dossier, Jean Cervier s’adressant à sa femme, murmura avec hésitation :
— Dis, Marie, qu’est-ce que tu penserais de lui en mettre un dans le cagibi ?
Marie réfléchit un instant. Les deux fauteuils, c’était ce qui lui plaisait le plus dans sa chambre ; ce qui en faisait un peu un salon, avec leur vêture de satin fraise-écrasée. Dans la dénivellation sociale qu’elle avait connue en se mariant avec Jean le serrurier, elle qui abandonnait une jolie maison de commerçants aisés pour ce logement ouvrier au fond d’une cour lépreuse, son dédommagement elle l’avait trouvé dans la joie de sa chambre Louis XV où elle ne se tenait jamais que la nuit pour dormir, mais dont elle poussait parfois la porte dans la journée pour en contempler le luxe consolateur après en avoir frotté avec amour, le matin, le parquet et les bois.
Aujourd’hui, donner à l’inconnue l’un des fauteuils, qui se faisaient un galant vis-à-vis devant la cheminée c’était déparer tout le style de la pièce, en détruire l’harmonie, le caractère. Ce fauteuil dépareillé qui restait, de quoi aurait-il l’air ?
— Elle est vieille, appuya Jean, ça lui fera plaisir, le dîner fini, d’aller se caler là-dedans après manger, dans son petit coin à elle. Et puis, si c’est une femme qui a connu les grandeurs, ça donnera au cagibi un air plus riche.
— Tu as raison, mon Jean, dit Marie en l’embrassant. Tu es meilleur que moi.