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JAVEL

II

L’IMPASSE SAINT-CHARLES

L’impasse où habitent les Cervier est un morceau demeuré intact du vieux faubourg parisien tel que l’ont connu ceux de la première Exposition Universelle, en 1878. Elle s’amorce à l’improviste dans la tumultueuse rue Saint-Charles. Elle vous prend et vous enfonce avec elle dans un autre âge, dans son silence, dans sa paix un peu sordide, dans sa bonhomie, entre ses petites maisons lépreuses d’un ou deux étages, aux fenêtres étroites, dont les portes ouvertes laissent apercevoir des cours mystérieuses, pleines de nuit déjà.

— Tenez, Madame, c’est là, dit Sabine justement devant l’une de ces vieilles cours où elle entraîne sa capture.

Il y a encore, dans le fond, un vieux puits du quinzième ou du quatorzième siècle, du temps où de blancs moutons paissaient ici dans des prés verts. À droite, un long vitrage laisse apercevoir un atelier fermé à cette heure. Sabine dit avec dignité :

— C’est là que mon père est serrurier.

La vieille profère alors ses premières paroles :

— Ah ! c’est à ton père cette forge, ce grand atelier ?

— Oh ! non, Madame, il n’est que compagnon. Le patron habite une belle maison dans l’avenue. Nous autres, c’est ici au second. Attention ! l’escalier est difficile.

L’escalier est fait de petits pavés roses un peu disjoints. Il y aurait bien de quoi se tuer. Mais la pauvre femme qui s’y aventure comme une somnambule, dans une espèce de rêve, une fantasmagorie, le gravit sans broncher. Elle n’appréhende même plus l’accueil de ces