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SAGESSE

jusque dans son passé, dans ses habitudes d’enfance, dans son comportement en toutes choses. » Dieu ! qu’elle était loin de Christian, des habitudes d’enfance de Christian, de sa manière de vivre ! À chaque instant, lorsque, cessant leurs baisers, ils parlaient un peu posément, que de choses disait son jeune ami qui lui paraissaient incompréhensibles ! Que de gentillesses, d’attentions, de prévenances, elle prenait pour une cour éperdue et qui n’étaient peut-être que de la politesse élémentaire chez un garçon du monde. Et elle le comparait à ses frères un peu rudes. Mais, sans qu’elle le sût, Christian n’avait-il pas été choqué quelquefois par ses ignorances, à elle, du raffinement des riches ? Un effort de sa pauvre tête endolorie, et elle se créait la vision d’une existence imaginaire passée aux côtés de Christian. Aussitôt, que de différences surgissaient entre eux ! Comment se tiendrait-elle dans un grand dîner, dans un grand bal ? tout simplement dans un salon ? Préjugés de classe chez tous les deux, car les raffinements nécessaires aux yeux de Christian devenaient enfantillages, niaiseries ou superfluités de nobles à ceux de Sabine. D’ailleurs, à quoi bon ces rêveries ? La question ne se posait que d’une de ces unions clandestines dont sa fierté native avait toujours eu horreur. Alors ?…

Alors, n’était-il pas temps de freiner les roues à l’heure où le vent du précipice la frôlait déjà ?


À présent, Grand’Mère était assise à ses côtés sans rien dire, et Sabine lui savait gré de ne pas ajouter un mot à la confidence de la nuit. La pierre tombale soulevée quelques heures avait été rescellée pour toujours. Silence. Silence. Pas un avis. Pas une suggestion. La sagace vieille femme savait que l’exemple de sa vie, si durement châtiée, travaillerait, plus que de bons conseils, l’âme de la pauvre enfant tentée.

Sabine demeura au lit tout le jour. Pareil à ces beaux fruits qu’un dard d’insecte a piqués une fois, son amour séchait en elle, devenait aride, âpre, amer. Le souvenir des baisers de Christian commençait à la gêner un peu. Grand’Mère ne lui fit pas une question. Sabine ne lui adressa pas la moindre confidence.