peine conscience de ce qui se passait en moi à l’égard du vicomte Paul. Je le revois encore, mon petit Alain, courant dans le jardin au milieu des fleurs avec ses boucles brunes flottant sur son grand col blanc… »
Ici la vieille femme s’arrêta pour un court silence. Sabine, assise à ses côtés, vit sa main se crisper sur ses genoux. Il y eut deux ou trois soubresauts légers dans sa poitrine. La jeune fille, témoin de sa souffrance, aurait voulu lui dire : « Arrêtez-vous, Grand’Mère, vous vous faites mal pour moi. Ne m’en dites pas plus. » Mais elle ne le put pas, trop avide d’en savoir davantage, trop captivée par ce roman vivant, trop frémissante de se retrouver, elle-même, dans cette amoureuse qu’avait été, en sa belle jeunesse, cette Grand’Mère admirée. Et puis, dans ce cas romanesque, elle recherchait avec le sien mille analogies — mais aussi les circonstances qui les différenciaient et lui donnaient des raisons d’espérer encore pour sa propre aventure.
Enfin Grand’Mère reprit :
— C’était un vrai petit prince de légende pour la beauté, la gentillesse, la perfection. Ses caresses, la caresse de sa petite main potelée sur ma joue, je la sens encore aujourd’hui, au bout de quarante ans ! Si je m’effaçais devant le père en présence de notre enfant, je n’étais pas moins passionnée que lui… Mais il faut que tu saches la fin de tout, ma Sabine. Ce fut si brutal ! si horrible ! Les parents du vicomte Paul, à force de recherches, avaient réussi à retrouver sa trace au Cap d’Antibes, d’abord, en Hollande ensuite… Alain avait sept ans et demi, lorsque son grand-père débarqua à Scheveningen. C’était un homme terrible. Lui aussi avait pour son fils la passion que possédait celui-ci pour Alain. Il y eut, entre eux, des scènes violentes, dont je fus exclue — car j’en étais l’objet. Toutes portes et fenêtres fermées, j’entendis, pendant trois jours, le bruit de leur dispute qui retentissait dans la pièce du milieu, à la villa. Enfin le père triompha. Il emmena son fils. Et Alain qui, ayant été reconnu en dehors du mariage par son père, lui appartenait, me fut ravi lui aussi !
« On me l’enlevait, Sabine ! On me l’arrachait ! J’ai