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LE SECRET DE GRAND’MÈRE

XIV

LE SECRET DE GRAND’MÈRE

Cela se passa donc dans cette petite pièce où gisaient jadis, sur le plancher, pommes de terre et carottes, où pendait alors à des clous, le long des murs, la friperie de la maison, cette pièce transformée aujourd’hui, parce que Grand’Mère, comme elle parait aux yeux des enfants, est une sorte de fée qui de rien crée quelque chose : Avec des bouts d’indienne qui traînaient, des étoffes défraichies venues de la mercerie, des gravures nettoyées à la mie de pain, elle s’est arrangé un petit salon bien exigu où son pauvre lit pliant s’agrémente comme un canapé de quelques coussins.

Pour Sabine, ce logis de la pauvre femme est un sanctuaire plein d’une émotion qui vous assaille dès votre entrée…

Elles sont là toutes seules, l’énigmatique inconnue qui a vécu là quatre années sans que nul ne l’interrogeât sur le malheur immense de sa vie, et la jeune fille avide, toute frémissante d’amour, assoiffée de bonheur. Et c’est dans ce tête-à-tête, pour sauver l’enfant chérie, à qui elle doit la vie présente et une si douce vieillesse, qu’elle sacrifie son bien suprême, le seul qui lui demeure : son silence, son secret.

— Tu sais, Sabine, si j’ai connu la grande vie, la plus large, la plus luxueuse, je ne suis pas née non plus chez les riches de ce monde, et, comme toi, j’en ai souffert. Mon père, modeste employé d’administration, gagnait peu et devait, cependant avec ses quatre enfants mener une existence bourgeoise ornée d’un certain décorum, d’une façade. Ainsi habitions-nous un appartement assez joli dans une maison neuve en briques