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I

JAVEL.

Tout commença un jeudi.


Un jeudi de ce mois d’avril où le soleil galope, chaque soir plus tard, dans le ciel. Cette marmaille — Sabine, le gros Claude et la petite Blanchette, les trois derniers du compagnon Cervier Jean, serrurier, Impasse Saint-Charles, avaient passé l’après-midi chez la bonne-maman Leriche, mercière rue des Quatre-Frères-Peignot, et n’avaient pas envie de rentrer à l’impasse.

— J’veux aller à Javel ! grognait sans arrêt l’énorme poupard de neuf ans, violent, impérieux et cajoleur qu’était Claude.

Et la petite Blanchette, écho amenuisé de son frère, répétait d’une voix suraiguë :

— Moi aussi j’veux aller à Javel !

Sabine, la grande fille de treize ans, qui menait la bande le désirait encore davantage. Javel pour eux, c’était le port du débarquement du ciment ou du sable, cette bande de quai qui s’allonge en marge de la Seine (alors qu’elle fuit à toute vitesse, dirait-on, vers les coteaux de Meudon), bordée à gauche par la voie en contre-bas du chemin de fer des Invalides. Là, le soir, on est bien quand le trafic des camions qui viennent tout le jour dans une frénésie s’emplir de leur poudre blanche a cessé, que tout est silencieux, tranquille, désert au bord de l’eau. Plus rien que ces montagnes de sable ou de pouzzolane, et de grandes grues barbares, effrayantes, mais mortes à cette heure, qui ressemblent à des squelettes d’animaux antédiluviens. Alors on peut