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LE PRÉCIPICE

son demi-siècle et se voulait faire vendre un de ces petits chapeaux coquins qui ne conviennent plus passé vingt ans. Maurice riait à belles dents. C’était lui qui comprenait le mieux cet état d’esprit du vendeur vis-à-vis du client ridicule devant lequel il faut garder toute sa déférence — quitte à s’en divertir plus tard. « À la bonne heure ! pensait Marie Cervier. Voilà mon petit glaçon de Sabine qui se dégèle ! »

Mais Grand’Mère approfondissait l’étrange physionomie de la cousette, ses yeux pleins d’une fièvre inconnue, les joues ardentes où le sang affleurait le fard et le débordait. Et quelque chose de si las, de si découragé dans le bas du visage dans les moments où cette gaîté factice tombait !


Les rendez-vous entre Christian et Sabine reprirent comme par le passé. Le garçon se montrait seulement un peu plus réservé que naguère. À la faveur de la nuit, ils stationnaient dans les allées, aux jardins de la Tour Eiffel, ou vers l’Alma. On aurait dit que par un amour plus doux, plus délicat, il eût voulu rendre confiance au pauvre oiseau peureux qui palpitait d’inquiétude jusque dans ses bras. Une sorte d’amitié tendre et caressante, voilà ce qu’il lui montrait. Et c’est ainsi qu’il endormait sa peur latente.

Ils se retrouvaient deux ou trois fois dans une semaine.

Janvier arriva, prétexte à de nouveaux cadeaux. Christian voyait Sabine frissonner sous un méchant manteau ni chaud, ni douillet, ni joli : pour peu qu’il l’eût fait attendre cinq minutes au bord du trottoir, elle était comme un glaçon quand il l’introduisait dans sa petite conduite intérieure. Un jour, il l’amena chez un fourreur en chambre qu’il savait être celui de sa mère, dans une rue étroite de la rive gauche. Sabine ne lut même pas le nom. Il choisit une cravate de petit-gris d’une nuance tendre et argentée qui lui tiendrait chaud aux épaules et faisait très « jeune fille », disait la vendeuse.

— Mais, chéri, interrogeait après coup Sabine anxieuse, cette fourrure, comment l’expliquerai-je à la maison ?