sur les coussins d’avant. Il prit sa petite main nue qui gisait sur ses genoux, inerte, et la couvrit de baisers. La main était sous ses lèvres molle et glacée. Une pitié sacrée le ravageait devant le drame muet de cette enfant au seuil de ses dix-huit ans, cette gamine des quartiers populeux qui s’était crue sa fiancée ! Tout d’un coup, il sentit la main fuir, glisser doucement sous ses lèvres, le corps de Sabine tout entier dessiner ce même mouvement de recul, échapper à ses caresses impérieuses, se dérober, se retirer. Déjà, les doigts furtifs cherchaient l’anneau de la portière.
— Quoi ! Quoi ! Tu veux t’en aller ? s’écria-t-il, inconscient, me laisser seul dans un moment pareil, où je suis si atrocement malheureux ?
Sans même relever ce que cette phrase recélait d’inconscience, la tendre Sabine en eut le cœur chaviré. C’était vrai, Christian souffrait aussi. Il obéissait à des lois impérieuses de son milieu social, à des ordonnances fatales de sa destinée. Mais il était malheureux. Sa douleur même paraissait plus insupportable que celle de Sabine. Il ajouta d’un ton déchirant :
— Reste, Sabine ! Ne vois-tu pas ce que je souffre !
Elle l’aimait trop pour résister à un cri pareil. Elle demeura. Et, comme il embrayait à nouveau, elle demanda : « Où vas-tu ? » Il répondit : « Là-bas ! » Là-bas, c’était la pâtisserie où ils retrouvaient les souvenirs limpides, les images claires comme le cristal de leur première rencontre. Sa chérie se montrait tellement défaite et à bout de forces avec son pauvre visage étroit plus fragile que jamais qu’il entendait bien la remonter à l’aide de quelque bon cordial très généreux. Mais lorsqu’ils arrivèrent au salon de thé et qu’il posait déjà la main sur le bec de cane de la porte, il eut un mouvement de recul :
— Zut ! s’écria-t-il, ma tante Octave de Saint-Firmin est là, dans « notre coin », au fond !
— Alors ? interrogea Sabine, désolée.
— Alors, mon pauvre petit, nous ne pouvons nous installer ici ; c’est une pie, la belle-sœur de mon père ! Elle lui téléphonerait tout chaud, ce soir, pour lui raconter sa rencontre et lui conseiller de me surveiller.
— C’est une méchante femme ? demanda Sabine.