Sabine, glacée par la peur autant que par le froid de ses minutes d’attente, tremblait de tous ses membres. Elle ne put, une fois installée auprès de Christian, et toujours entourée de son bras, prononcer qu’une phrase :
— Tu as lu ma lettre ?
— Bien sûr, je l’ai lue, chérie ; et je l’ai trouvée bien belle, tu sais. Il faut que tu aies une sacrée noblesse de caractère pour avoir écrit de telles lignes. Ça sent une grande âme. La façon dont tu m’apprends que tu n’es qu’une fille d’ouvriers, je t’assure, dans sa simplicité, ce passage-là est magnifique. J’étouffais de tendresse en le lisant.
— Vrai ? Cela ne t’a pas détaché de moi ? cela ne t’a pas repoussé de penser que je sors du peuple, que mon père est forgeron, qu’il a des mains dégoûtantes et qu’il sent le fer et la sueur, le soir, quand il remonte de l’atelier ?
— Que veux-tu qu’il m’importe que ton père soit un travailleur manuel ou qu’il vende du sucre en poudre dans une boutique ? Aux yeux du mien, dès lors qu’il n’est pas titré, c’est tout pareil, mon pauvre petit oiseau !
— Tu crois que ton père — au cas où tu voudrais, toi, que je sois ta femme… mais ta vraie femme, alors, et pour la vie, et sans qu’il soit besoin de se cacher pour nous aimer dans le creux des rues obscures, — tu croix que ton père se fâcherait ?
— C’est-à-dire qu’il me laisserait tomber complètement.
— Est-ce que tu m’as écrit cela, Christian ? Est-ce que tu me rapportes une réponse à ma pauvre lettre ? Des lignes écrites par toi que je pourrai relire quelquefois… si nous nous séparons à jamais ?
— Pourquoi t’écrire, ma Sabine, puisque nous avons tout le temps de parler et de nous entendre ?
— Oh ! j’aurais tant aimé une lettre de toi ! Pas une lettre d’engagements, qui t’attache à moi par des promesses ; pas une lettre pour les avocats ; pas une pour un procès ; pas une pièce qui te compromette. Oh ! non ! ce n’est pas à quoi je pensais ; mais une lettre d’amour. Je n’en ai jamais reçu, même de toi. Tes baisers, ils sont bien bons, Christian, mais une lettre de toi, c’eût