vent des soirées entières. Ce chagrin-là, il me semble que je ne pourrai le supporter.
— Et si tu me perdais, moi ?
— Mais tu es la jeunesse même, Sabine ! Je ne te perdrai pas ! Ce n’est pas comparable.
— Et si ta mère me voyait attablée dans ce thé, à tes côtés ; oui, si, par hasard, elle entrait ici, quel coup de théâtre épouvantable !
— Mais, chérie, maman te connaît un peu. Je suis très intime avec elle, tu sais. Je n’ai pu me retenir de lui parler de toi, de lui montrer la petite photo que j’ai prise au Bois, un certain soir de novembre, près de la grande cascade. Elle m’a même dit que tu étais ravissante.
— C’est vrai ? Elle a dit cela, Mme de Saint-Firmin ?
Et Sabine était devenue écarlate de joie, de surprise, d’orgueil. Mais, aussitôt ressaisie de son inquiétude latente, sa perpétuelle, lancinante crainte qui gâtait chacun de ses grands bonheurs :
— Malheureusement, Christian, quand ta mère saura que je ne suis pas riche, que je n’ai pas un sou, elle ne voudra jamais que nous nous épousions !
Alors elle vit nettement changer le visage enfantin que, malgré sa stature, Christian gardait encore. Il pâlit subitement, sa mâchoire se crispa et il se mit à caresser doucement le petit poignet de Sabine qui se posait au bord de la table.
— Ah ! ne t’inquiète donc pas, disait-il. L’essentiel, le primordial, n’est-ce pas que nous nous aimions, que nous soyons éperdument fous l’un de l’autre comme nous le sommes ce soir, que nous le demeurions ? Alors tout s’arrangera.
Sabine, après de longues minutes silencieuses où il lui sembla que le navire qui portait son bonheur était sourdement menacé de sombrer ; qu’il donnait déjà de la bande, que le naufrage était dans l’air, commença :
— La lettre que je t’ai remise là-bas, sur le quai… veux-tu me la rendre ?…
— Pourquoi te la rendre, chérie ? Si tu m’as écrit, c’est que tu en éprouvais le besoin. Je veux tout savoir de tes pensées, de tes sentiments. Véritablement, tu exiges que j’ignore ce que tu m’avais confié là de toi-