consistent en la gérance d’une petite boutique au fond de Grenelle.
Ce qui la soutient, ce qui l’encourage, c’est la merveilleuse histoire du château de son rêve qui n’était autre que le château de Christian. N’y avait-il pas là un gage pour l’avenir ? Jusqu’à l’identité des quatre tourelles, chose si extraordinaire ! Sabine risque beaucoup en révélant à son jeune ami son humble condition. Mais elle sent une secrète assurance dans la confirmation de sa vieille idée fixe d’être un jour châtelaine.
C’est même ce qui lui donne le courage d’écrire sa pauvre lettre :
Christian, je voudrais que tu connaisses ta petite Sabine telle qu’elle est : il ne peut plus y avoir rien de mensonger entre toi et moi. Nous nous aimons trop. Tu es la beauté de la vie. Je te l’écris comme je le sens, exactement. Mais j’ai peur que tu ne me prennes pour une jeune bourgeoise. Je ne voudrais pas te tromper. Je suis d’une famille d’ouvriers. Mon père est compagnon serrurier, un peu plus instruit qu’un autre, seulement parce qu’il étudie encore chaque soir dans les livres. Mais il est souvent grossier et manque de bonnes manières. Le logement que nous habitons est passablement grand pour des gens comme nous, mais vieux, laid et sans confortable. Je t’écris de ma petite chambre aveugle, sans fenêtres, qui n’est éclairée que par une ampoule électrique. Quand il fait humide, le plâtre tombe des murs. Le « commerce de ma famille » dont je t’ai parlé quand j’avais honte, et peur, et comme une appréhension invincible de t’avouer la condition de mon père, c’est tout simplement une petite mercerie de province, une boutique de banlieue que la mère de maman, ma grand’mère Leriche, tient, rue des Quatre-Frères-Peignot. Voilà ce qu’est ta pauvre Sabine, mon Christian. Pas plus. Moi, je t’aime à en mourir. Mais toi, m’aimeras-tu assez pour me donner la plus grande preuve d’amour qu’un jeune homme puisse accorder à celle qu’il aime, celle de s’engager à elle pour la vie, devant sa famille, devant le monde, devant Dieu, devant tout ?
Ah ! Chéri, comme je voudrais que les rôles soient