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GRAND’MÈRE

— C’est un rendez-vous de la noblesse, ici ? demanda-t-elle.

Christian sourit.

— Pas spécialement, dit-il. C’est plutôt du « Tout venant ». Mais je préfère ne pas t’amener dans des endroits où je pourrais me trouver nez à nez avec des connaissances de mes parents.

— Tes parents seraient très fâchés s’ils apprenaient que tu m’aimes ?

— Tu sais, les parents ne sont jamais très ravis de voir leur fils amoureux.

— C’est comme pour leur fille, dit Sabine. Ainsi, mon bracelet, je vais être forcée de l’enfouir dans mon sac ou au fond d’un tiroir, crainte que ma mère ne l’aperçoive.

C’est à partir de ce jour-là que l’ivresse bien secrète, jalousement dissimulée dans laquelle baignait Sabine s’accompagna d’une sourde souffrance. Une goutte de fiel était tombée dans son verre : et c’était l’inquiétude. Il se révélait de plus en plus à ses réflexions que Christian ne l’envisageait pas comme une fiancée, comme sa femme de demain, mais comme un charmant présent du sort, passager, fugace, dont il fallait jouir un moment en attendant de le rejeter pour un autre. Elle n’attaquait jamais cette question du but où les amènerait leur lente promenade sentimentale. Elle était trop fière, et aussi, sa tendresse pour Christian qui s’approfondissait chaque jour, lui défendait d’amener un trop gros souci sur ce visage chéri dont ses lèvres connaissaient tous les contours, l’allongement aristocratique des plans, la finesse, les modelés délicats. Au Bois, quand ils sortaient du thé, la petite voiture aux riches nickels du jeune homme s’arrêtait dans une rue adjacente. Ils tombaient aux bras l’un de l’autre en s’étreignant bien fort. Mais Christian se reprenait vite. Dès que Sabine paraissait un peu fâchée d’un trop long baiser, il lui demandait pardon, promettait d’être sage.

Il se rattrapait en cadeaux. Un jour, ce fut une petite montre-agrafe qui était un bijou de grand prix. Qu’elle eût été orgueilleuse de porter, sur sa jaquette jaune, l’or travaillé de cet objet d’art ! Mais il fallut que l’objet d’art allât rejoindre au fond du sac de Sabine le bra-