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L’AMOUR

— Si nous sortions un peu ? Il me semble que j’aimerais me promener avec vous.

Et les voilà en route pour le jardin des Tuileries.

Christian a pris et serre contre lui, avec beaucoup de tendresse, le bras de cette délicieuse petite figurine de porcelaine que lui semble dans sa fraicheur, cette Sabine, si vraie, si directe. Jamais encore dans sa vie d’étudiant, il n’a éprouvé devant une femme un tel sentiment de surprise émerveillée, de vénération, de culte : c’est un peu le respect dont on entoure un enfant à cause de son imposante fragilité. Sabine est une petite fille. Elle lui fait peur un peu. Et plus une secrète déférence le mate et le contient vis-à-vis d’elle, plus elle l’attire.

C’est le crépuscule d’automne ; le jardin des Tuileries s’étend devant eux tout peuplé de statues blanches aux gestes divers, décor impérial. Les parterres, dessinés à la française, sont tissés des fleurs éclatantes de l’arrière-saison comme un tapis riche déroulé sur la verdeur des pelouses. Sabine, au bras de son jeune ami, marche dans l’irréel. Le terrain est aussi souple que du coton. C’est une sorte de vertige qui commence. Ils le sentent tous les deux. Tout à coup, prenant plus impérieusement possession du bras de Sabine, Christian murmure à mi-voix :

— Chérie !…

Elle a deux ou trois petits soupirs d’enfant qui suffoque. C’est le premier aveu de Christian. Ils pénètrent ensemble dans le sanctuaire qui va maintenant les enfermer comme deux êtres tirés de la foule, mis à part pour vivre l’un de l’autre. Cette fois, Sabine ivre d’une allégresse bien cachée, bien muette, se voit, sans aucun doute possible, enchaînée dans les douces prisons de l’Amour. Un grand silence a suivi. Une sorte de solennité. Ils ne disent plus rien. Mais Christian qui connait les Tuileries sur le bout du doigt, sait, dans ces parages, une échancrure toute ronde taillée dans les frondaisons, formant cabinet de verdure. Deux ou trois fauteuils métalliques au fond. C’est là qu’il amène son pauvre petit oiseau tout palpitant. Ils prennent deux sièges bien serrés l’un contre l’autre, se regardant avec un émoi si pressant, si solennel, que dans les yeux du