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L’AMOUR

— L’amitié ? fit-il avec une moue.

— Mais c’est très joli, l’amitié, reprend Sabine. On a grand plaisir à se trouver en compagnie d’un camarade. On bavarde. On rit, on se promène, on échange des idées…

— Oui, oui, concédait-il mollement, je ne vous contredis pas. C’est charmant, l’amitié. Mais moi, voyez-vous, Mademoiselle Sabine, vous m’avez fichu une drôle d’émotion dès notre premier tête-à-tête dans le métro, l’autre jour, une émotion bouleversante comme une tempête, et qui ne ressemble pas plus à l’amitié que l’ouragan de mer ne ressemble au petit ventoulet qui passe en ce moment sur les arbres du boulevard Haussmann. Votre amitié, c’est un bien beau don, je le sais, mais ce n’est pas encore assez pour moi.

Sabine ne répondait pas. Il la regarda. Elle était toute pâle et il sentait frissonner le petit bras qu’il tenait sous le sien. Sabine avait peur. Elle était comme une pauvre colombe attrapée. Il sentit un jeune être bien délicat, bien sensible, avec lequel c’eût été indigne de montrer trop de vivacité.

— Est-ce que je vous ai choquée ? demanda-t-il, ravi au fond de la trouver si enfant, si craintive, devant l’orage de l’amour.

L’orgueil de Sabine la ressaisit.

— Oh ! pas du tout ! répondit-elle fièrement.

— Si vous voulez, dit-il alors d’une voix caressante, ensorceleuse, nous allons prendre une tasse de thé dans une pâtisserie, là-bas, du côté de la gare Saint-Lazare ?

L’idée plut au trouble de Sabine. Cette pâtisserie lui apparaissait comme un asile sûr, une forteresse où elle se trouverait à l’abri de tout l’inconnu que recélait ce terrible garçon ; et celui-ci sentit le bras apeuré se tranquilliser sous le sien.

Il y avait beaucoup de monde à ce thé, rien que des élégances raffinées. Surtout des femmes dont l’opulence n’éclatait qu’à retardement, c’est-à-dire à seconde vue, dans la scintillation discrète d’un diamant à une oreille, sous une boucle de cheveux, à une agrafe de chemisette, à une main dégantée ; ou bien dans un bout de collier dont une fourrure déplacée dévoilait les gouttes laiteuses sur une peau rosée. Des couleurs sombres dans