une atmosphère tout à fait différente. On risquerait de ne pas y trouver le bonheur, de n’y être pas heureux.
— Mais moi, Grand’Mère, je ne suis pas comme tout le monde. Je souffre de toute grossièreté, de tout manque d’élégance, d’un défaut de politesse, d’un propos vulgaire, d’un laisser-aller, d’une faute de tact. Je ne veux pas demeurer dans cette classe où j’ai dû naître par erreur !
— Ma chérie, la classe où tu es née est-elle forcément grossière ? Ton père, pour ne citer que lui est un grand cœur et une nature magnifiquement élevée. Quant à ce grand Henri, il m’apparait comme la délicatesse même. Car il est charmant, tu sais !
— Oh ! fit avec beaucoup de réserves l’ingrate qui pensait à Christian et le comparait au jeune ouvrier, il lui manquera toujours…
— Qu’est-ce qui lui manquera ? Dis-le, Sabine !
— Oh ! c’est difficile à préciser. Un « je ne sais quoi… » dit Sabine qui avait lu l’expression dans maints romans à la mercerie. L’instruction, l’usage, l’aisance, qu’ont les personnes du monde. Je connais des gens qui sont tellement mieux que lui !
C’était toujours Christian qu’elle évoquait. Mais craignant de s’être trop avancée, elle voulut donner le change :
— Vous comprenez, Grand’Mère, au magasin, je vois beaucoup de personnes « très bien ».
— Et c’est dans ce milieu que tu comptes trouver un mari, ma Sabine ?
— Ah ! ne put retenir celle-ci, poussée à bout, vous oubliez le château ! Le château de mon rêve qui me reste toujours devant les yeux, aussi éclatant que si quelqu’un le tenait sous la lumière d’un projecteur. Vous pensez bien qu’il n’arrive pas à tout le monde de connaître un songe aussi étrange ; plus qu’un songe, une vision. Et qui annonce quelque chose. D’ailleurs, j’en suis sûre maintenant, je serai châtelaine.
La vieille femme lui enserra les épaules de ses deux bras :
— Ma grande folle ! si je ne te connaissais à fond, avec ta conscience si rigoureuse, ton cœur si généreux, ta sensibilité si tendre, ton courage, tu me ferais peur !