Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/84

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelques lieux qu’ils laissent des vivres pour eux-mêmes, ils nous y verront marcher. Voyons, Chirisophe, ajoute-t-il, je suis d’avis de porter secours contre ces incendiaires, comme si le pays était à nous. » Alors Chirisophe : « Et moi, dit il, je n’en suis point d’avis ; mais brûlons aussi nous-mêmes, et ce sera plus tôt fini. »

De retour aux tentes, pendant que les autres s’occupent à chercher des vivres, les stratéges et les lochages se réunissent. L’embarras était grand : c’étaient, d’une part, des montagnes élevées ; de l’autre, un fleuve tellement profond qu’on n’y pouvait tenir-les piques au niveau de l’eau en essayant de le sonder. Dans cette perplexité un Rhodien se présente : « Je me charge, camarades, dit-il, de faire passer quatre mille hoplites, si vous voulez me fournir ce qui m’est nécessaire et me donner un talent de récompense. » On lui demande ce qu’il lui faut : « J’ai besoin, dit-il, de deux mille outres ; je vois ici beaucoup de moutons, de chèvres, de bœufs et d’ânes : écorchez-les, soufflez-en les peaux, et nous passerons facilement. J’aurai également besoin de courroies dont vous vous servez pour les attelages. Avec ces courroies j’attacherai les outres et je les adapterai les unes aux autres ; ensuite j’y suspendrai des pierres que je laisserai descendre dans l’eau comme des ancres ; puis, pour relier les deux rives, je jetterai sur le tout des branches et sur ces branches une couche de terre. Vous allez voir tout de suite que vous n’enfoncerez point. Chaque outre portera deux hommes de manière à ne pas enfoncer, et le bois revêtu de terre empêchera qu’on ne glisse. »

En entendant cette proposition, les stratéges trouvent l’idée ingénieuse, mais l’exécution impossible ; il y avait, de l’autre côté du fleuve, un grand nombre de cavaliers prêts à y mettre obstacle, et qui n’eussent pas laissé mettre pied à terre aux premiers qui l’eussent essayé.

Le lendemain, on se replie, par une route opposée à celle de Babylone, sur les villages qui n’étaient pas brûlés, et l’on brûle ceux que l’on quitte. Les ennemis ne font point de charge, mais ils regardent avec étonnement la manœuvre des Grecs, ne sachant où ils se porteraient, ni ce qu’ils avaient dans l’esprit. Pendant que les autres s’occupent à chercher des vivres, les stratéges et les lochages se réunissent de nouveau, se font amener les prisonniers, et tâchent de tirer d’eux des renseignements sur tout le pays qui les entoure.

Ils disent qu’il existe, vers le midi, une route qui conduit à