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nemis et à entraîner les autres, sachez-le bien, ils vous suivront et s’efforceront de vous imiter.

« Or, il est juste que vous vous distinguiez des soldats : vous êtes stratéges, taxiarques, lochages : pendant la paix, vous aviez plus de part aux richesses et aux honneurs ; vous devez donc, aujourd’hui que nous sommes en guerre, vous montrer plus braves que la foule qui vous suit, et lui donner, au besoin, l’exemple de la prévoyance et du courage. Et d’abord, je crois que vous rendrez un grand service à l’armée, si vous vous occupez à remplacer au plus tôt les stratéges et les lochages qui ont péri. Sans chefs, rien de beau, rien de bien, tranchons le mot, rien absolument ne se fait, à la guerre surtout. La discipline est le salut des armées ; combien l’indiscipline n’en a-t-elle pas perdu !

« Quand vous aurez élu les chefs nécessaires, si vous réunissez les autres soldats et que vous les ranimiez, vous ferez, selon moi, une chose tout à fait urgente. Car sans doute vous avez observé comme moi leur abattement quand ils sont venus aux armes, leur abattement quand ils se sont placés aux postes. Tant qu’ils en seront là, je ne vois point quel parti en tirer, soit la nuit, soit le jour. Or, si l’on tourne leurs idées d’un autre côté, de manière qu’ils ne songent pas exclusivement à ce qu’ils ont à souffrir, mais à ce qu’ils ont à faire, ils reprendront bientôt courage. Vous savez, en effet, qu’à la guerre ce n’est ni le nombre ni la force qui fait la victoire ; mais ceux qui, avec l’aide des dieux, vont d’une âme forte contre les ennemis, en trouvent rarement qui leur résistent. J’ai observé aussi, camarades, que ceux qui, dans les combats, cherchent à sauver leur vie, périssent presque toujours d’une mort lâche et honteuse, tandis que ceux qui savent que la mort est commune et inévitable à tous les hommes, et qui combattent pour mourir avec honneur, parviennent souvent, je le vois, à la vieillesse, et, tant qu’ils vivent, n’en sont que plus heureux. Convaincus de ces maximes, il faut aujourd’hui, dans les circonstances où nous sommes, nous montrer hommes de cœur et y exciter les autres, » Cela dit, il se tait.

Après lui, Chirisophe prenant la parole : « Je ne te connaissais pas auparavant, Xénophon, dit-il ; j’avais seulement entendu dire que tu étais Athénien. Mais aujourd’hui je te loue de ce que tu dis et de ce que tu fais, et je voudrais que tous les autres fussent comme toi : ce serait un bien général. Cependant, camarades, ajoute-t-il, ne tardons point ; séparons-nous ; que ceux de