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visions, leurs esclaves, leur bétail, et cet or, et ces étoffes. Mais aussi lorsque je songeais à nos soldats, qui ne pouvaient avoir part à tous ces biens qu’en les achetant, lorsque je voyais que, même en les payant, ils n’étaient accessibles qu’à un très-petit nombre, et que nos serments nous interdisaient tout autre moyen d’avoir le nécessaire qu’en échange d’argent, en songeant, dis-je, à tout cela, je redoutais plus encore la trêve que maintenait la guerre.

« Toutefois, puisqu’ils ont rompu la trêve, il me semble qu’ils ont mis fin à leurs outrages et à nos inquiétudes. Entre eux et nous ces avantages sont comme un prix réservé à ceux de nous qui montreront le plus de cœur, et les juges du jeu sont les dieux eux-mêmes, qui seront, j’aime à le croire, de notre parti. Les ennemis se sont parjurés devant eux, et nous, qui avions tant de biens sous les yeux, nous nous en sommes constamment abstenus, par respect pour les dieux attestés dans nos serments. Nous pouvons donc, ce me semble, marcher au combat avec plus d’assurance que les Barbares. En outre, nous avons des corps plus endurcis que les leurs à supporter les froids, les maladies, les fatigues. Grâce au ciel, nous avons aussi des âmes plus vigoureuses ; et leurs soldats sont plus faciles à blesser et à tuer que les nôtres, si les dieux nous accordent la victoire qu’ils nous ont déjà donnée.

« Mais peut-être en est-il d’autres qui ont la même pensée. Au nom des dieux, n’attendons pas que d’autres viennent à nous pour nous appeler à des actions d’éclat. Soyons les premiers à entraîner les autres sur le chemin de l’honneur. Montrez-vous les plus braves des lochages, plus dignes d’être stratéges que les stratéges eux-mêmes. Pour moi, si vous voulez marcher où je vous dis, je suis prêt à vous suivre ; si vous m’ordonnez de vous conduire, je ne prétexterai point mon âge ; je crois, au contraire, avoir toute la vigueur qu’il faut pour éloigner de moi les maux dont je suis menacé. »

Ainsi parle Xénophon. Les lochages, après l’avoir entendu, le prient tous de se mettre à leur tête, sauf un certain Apollonidès, qui prétend, avec l’accent béotien, qu’il y a folie à proposer un autre moyen de salut que de fléchir le roi, s’il est possible ; et il se met alors à parler des difficultés de la situation ; mais Xénophon l’interrompant : « Homme étonnant, dit-il, tu ne comprends donc pas ce que tu vois, tu ne te rappelles pas ce que tu entends. Tu étais cependant avec nous lorsque le roi, après la mort de Cyrus, tout fier de ce bel exploit nous fit