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rions, en les brûlant, vous susciter comme ennemis la famine qu’il vous serait impossible de combattre, malgré votre valeur. Comment, avec tant de moyens de vous faire la guerre sans danger, choisirions-nous le seul qui soit impie devant les dieux, déshonorant aux yeux des hommes ? C’est la ressource des gens embarrassés, à bout de voies, que la nécessité presse, des scélérats enfin, qui veulent tirer quelque profit de leur parjure envers les dieux et de leur mauvaise foi envers les hommes. Non, non, jamais, Cléarque, nous ne serons insensés et fous à ce point !

« Pourquoi, lorsque nous pouvions vous exterminer, ne l’avons-nous point fait ? Sache bien que la cause de votre salut est le désir que j’avais de prouver mon dévouement aux Grecs : car ces troupes étrangères sur lesquelles Cyrus ne comptait, en montant dans les hauts pays, que parce qu’il les payait, je voulais, moi, en descendant, m’en faire un soutien par des bienfaits. Quant aux avantages que vous pouvez m’offrir, tu en as dit quelques-uns ; mais le plus grand, c’est celui que je sais. Il est permis au roi seul de porter la tiare droite sur sa tête ; mais peut-être, vous présents, est-il permis à un autre de la porter ainsi dans son cœur. »

En parlant ainsi, il parut à Cléarque dire la vérité, et Cléarque reprit : « Ceux donc, dit-il, qui, lorsque nous avons de tels motifs d’amitié, essayent par leurs calomnies de nous rendre ennemis, ne sont-ils pas dignes des derniers supplices ? — Pour moi, dit Tissapherne, si vous voulez, stratéges et lochages, venir à moi au grand jour, je vous dirai ceux qui me disent que tu trames contre moi et contre mon armée. — Moi, dit Cléarque, je te les amènerai tous ; et, de mon côté, je te ferai connaître d’où je tiens ce que je sais de toi. »

Après cette conférence, Tissapherne fait de grandes caresses à Cléarque, qu’il prie de rester et de dîner avec lui. Le lendemain Cléarque, de retour au camp, paraît persuadé des intentions pacifiques de Tissapherne, et raconte ce que celui-ci lui a dit. Il ajoute qu’il faut que les chefs invités se rendent chez Tissapherne, et que ceux des Grecs qui seraient convaincus de calomnie soient punis comme traîtres et ennemis des Grecs. Il soupçonnait que le calomniateur était Ménon, sachant qu’il s’était, ainsi qu’Ariée, abouché avec Tissapherne, qu’il formait un parti contre lui et qu’il cabalait pour se gagner toute l’armée et devenir l’ami de Tissapherne. Cléarque, de son côté, voulait se concilier l’affection dé l’armée entière et se débar-