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près d’autres philosophes. C’est, en effet, à mes yeux une très-grande preuve de vertu de se laisser prendre par un tel homme, si toutefois il y a quelque chose du mortel dans la vie de Socrate. Qu’il y ait d’ailleurs des dieux au-dessus de nous, c’est de la dernière évidence, et il suffit de s’incliner pieusement devant leur souverain pouvoir[1]. Mais quels sont ces dieux, il n’est ni facile de le trouver, ni permis de le chercher. Des esclaves ne doivent point connaître la nature ou les actes de leurs maîtres, puisqu’ils n’ont rien à faire que servir.

Il est une remarque bien importante, c’est que plus on doit admirer ceux qui se donnent de cœur aux affaires humaines, plus on inspire de dégoût, quand on veut arriver à la gloire par des moyens illégitimes ou frivoles. Mais, dis-moi, Eschine, quand est-ce qu’on a entendu Socrate parler des choses célestes, ou engager à s’occuper de géométrie pour apprendre à bien vivre ? Nous savons qu’en fait de musique il n’allait point au delà du jugement des oreilles. Seulement, il ne cessait de dire à chacun de ses disciples ce que c’est que le beau, le courage, la justice et les autres vertus. Il appelait cela les biens humains : pour le reste, il disait que l’homme n’y peut atteindre, ou bien que c’est de la famille de ces contes d’enfants, inventés par des sophistes an front sourcilleux. Ce qu’il disait, il le mettait en pratique. Biais pourquoi t’écrire des faits que tu connais ? Tu n’en es pas fâché ; seulement cela perd du temps, et j’en ai parlé ailleurs[2]. Que ceux-là donc se laissent convaincre, ou du moins qu’ils aient l’esprit en balance, à qui Socrate n’a pas su plaire, lui, à la sagesse duquel un dieu, de son vivant, a rendu témoignage, et dont les meurtriers n’ont pu faire excuser leur repentir. Voyer la belle chose ! Il y a des gens qui se sont épris de l’Égypte, et de la sagesse prodigieuse de Pythagore, en même temps qu’ils révélaient la faiblesse et l’insouciance de leur affection pour Socrate, en se montrant dévoués à la tyrannie, et en abandonnant un régime frugal pour les délicatesses raffinées des tables de Sicile[3].

  1. Cf. Mémoires, l. IV, dans notre tome I, p. 21.
  2. Dans les Mémoires.
  3. On regarde généralement cette fin comme un trait amer décoché contre Platon, qui était alors à la cour de Denys. Mais il ne faut pas perdre de vue, d’une part, que rien ne garantit l’authenticité de cette lettre, et d’autre part, que le texte même de ce passage est fort controverse. — Cf., du reste, sur le séjour de Platon en Sicile, Cicéron, Tusculanes, V, XXXV.