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faits par des villes oligarchiques ; car dès qu’il y a une infraction, à qui l’imputer, sinon à la minorité qui a conclu ? Mais dans les traités faits par le peuple, le peuple est toujours maître d’en rendre responsable celui-là seul qui a donné le conseil ou rédigé le décret, et de dire aux autres : « Je n’étais pas là ; je n’approuve pas la convention[1]. » On fait une proposition à l’assemblée populaire ; si le peuple n’est pas de cet avis, il trouve mille prétextes pour ne pas faire ce qu’il ne veut pas. S’il résulte quelque malheur de ce que le peuple a décidé, le peuple accuse la minorité, dont l’opposition a tout perdu : si tout va bien, il s’en attribue uniquement la cause.

Les comédies et les brocards dirigés contre le peuple[2] ne sont point permis, parce qu’on ne veut pas entendre dire du mal de soi ; mais on les autorise quand ils attaquent les particuliers, parce qu’on sait bien que le personnage de la comédie n’est d’ordinaire ni un homme, du peuple, ni un des derniers citoyens, mais un riche, un noble, un puissant, qu’il y a peu de pauvres ou de plébéiens traduits sur la scène, et que, s’il y en a, ce sont des brouillons, des gens qui cherchent à se mettre au-dessus du peuple : espèce d’hommes qu’on n’est pas fâché de voir tournés en ridicule par la comédie[3].

Je ne prétends donc pas que le peuple, à Athènes, ne sache pas distinguer le bon citoyen du mauvais ; mais le sachant, il éprouve de la sympathie pour ce dernier, si mauvais qu’il soit, parce qu’il en tire parti et avantage : quant au premier, il le déteste de préférence. Il croit, en effet, la vertu faite pour le malheur, et non pour le bonheur des gens. Il y a pourtant des hommes qui sont réellement du peuple, mais qui n’ont pas les instincts populaires.

Je pardonne d’ailleurs au peuple son amour pour la démocratie : tout le monde est excusable de songer d’abord à son bien. Mais quand un homme, qui n’est pas du peuple, aime mieux vivre dans une démocratie que dans une oligarchie, c’est qu’il a des vues criminelles, et qu’il croit plus facile aux méchants de se cacher dans un État démocratique que dans un État oligarchique.

  1. Suivant L. Dindorf, il y a là une altération du texte : nous avons suivi le mouvement le plus logique des idées.
  2. Il faut croire que, quand Xénophon a écrit cette phrase, Aristophane n’avait pas encore produit sur la scène le bon Démos des Chevaliers.
  3. Les comédies d’Aristophane sont le meilleur commentaire de ce passage.