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et la perversité d’un pareil homme, voulant le bien, sont plus la vertu et la sagesse d’un riche voulant le mal.

Peut-être un gouvernement fondé sur ces principes ne sera-t-il pas le meilleur de tous, mais il assurera solidement la démocratie. Car le peuple ne veut pas une république dont la bonne constitution le ferait esclave ; il veut être libre et gouverner ; et, si la constitution est mauvaise, c’est le moindre de ses soucis. Ce qui vous parait une mauvaise constitution, est précisément ce qui fait la force du peuple et sa liberté. Si vous cherchez une bonne constitution, vous verrez d’abord les plus habiles donner des lois, puis les bons réprimer les méchants, délibérer sur les intérêts de l’État, sans permettre à des fous de dire leur avis, de haranguer, de convoquer l’assemblée ; mais cependant, avec ces excellentes mesures, le peuple ne tardera pas à tomber dans l’esclavage[1].

À Athènes, on accorde aux esclaves et aux métèques une licence incroyable[2] : il n’est pas permis de les battre : un esclave ne se dérange pas pour vous. D’où vient cette coutume ? Je vais le dire. Si l’usage autorisait un homme libre abattre un esclave, un métèque ou un affranchi, souvent il prendrait un Athénien pour un esclave et le battrait : ici, en effet, l’habillement des citoyens n’est pas autre que celui des esclaves et des métèques, et pour l’extérieur, ils se valent. Et si l’on s’étonne de ce qu’ici l’on permet aux esclaves de vivre dans le luxe, à quelques-uns même de mener grand train, on verra que ce n’est pas sans un motif plausible. Dans une ville où la force est toute maritime, il y va de la fortune de se faire l’esclave de son esclave, pour en tirer des bénéfices, et de lui laisser la liberté. Où les esclaves sont riches, il n’est plus utile que mon esclave te craigne. À Lacédémone, mon esclave te craint ; mais si c’est ton esclave craint, il y a grand risque qu’il me donnera ce qu’il a,

  1. Ironie amère et sanglante.
  2. « Si l’on en excepte les malheureux attachés à l’exploitation des mines d’argent, dont le sort ne pouvait être que très-dur, très-déplorable, on traitait tous les autres esclaves avec tant de douceur, que Xénophon a osé soutenir qu’on avait pour eux trop d’égards. Mais alors Xénophon avait abjuré les maximes de son pays pour adopter les principes des Lacédémoniens, qui traitaient les hilotes avec une barbarie qui révolte la nature. Les Athéniens avaient trop de prudence et encore une line trop sensible pour insulter des hommes dont l’industrie devait les enrichir, et dont le nombre surpassait tellement celui des citoyens, qu’on n’eût pu y dormir en refusant aux esclaves cette grande indulgence, qu’ils méritaient à mille égards. » DE PAUW, t. I, p. 468 et 469.