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les pentécontarques, les seconds, les constructeurs, voilà ceux qui rendent l’État florissant, bien plus que les hoplites, les nobles et les riches. Cela étant, on trouve juste qu’ils participent tous indistinctement aux charges qui dépendent du sort et de l’élection, et que qui veut, parmi les citoyens, ait le droit de parler. Quant aux fonctions dont la gestion, bonne ou mauvaise, met en question le salut de l’État et le péril du peuple entier, ces fonctions-là, le peuple s’en préoccupe fort peu. C’est ainsi qu’il ne songe nullement à se faire porter aux premiers grades dans l’infanterie ou dans la cavalerie, convaincu qu’il gagne plus à ne point exercer lui-même ces fonctions, mais à les abandonner aux grands. Au contraire, toutes les fonctions qui garantissent un salaire et qui rapportent à la maison, il cherche à les remplir[1].

Il y a des gens qui s’étonnent de ce que, en général, on favorise plus les artisans, les pauvres et les plébéiens que les citoyens honnêtes : c’est pourtant le moyen de conserver la démocratie. En effet, si les pauvres, les plébéiens et les gens de la dernière classe sont heureux, ils deviennent nombreux et fortifient l’État démocratique ; tandis que, si tout va bien pour les riches et les honnêtes gens, les démocrates leur font une opposition puissante. Or, dans tout pays, les classes élevées sont ennemies de la démocratie. Car dans les classes élevées on trouve, avec plus de dérèglement et d’injustice, un goût prononcé pour le bien ; chez le peuple, au contraire, force ignorance, turbulence et dépravation, parce que la pauvreté l’entraîne bien plus à des actes honteux, ainsi que le défaut d’éducation et d’instruction, auquel le manque d’argent condamne certains hommes.

Il ne fallait pas, dira-t-on, autoriser tout le monde indistinctement à haranguer et à donner des conseils, mais seulement ceux qui ont le plus de talent et de vertu. Cependant c’est une mesure fort sage[2] que de permettre même aux mauvais citoyens de parler. Car si les bons tout seuls parlent et conseillent, ce sera un bien pour ceux de leur classe, mais non pas pour les plébéiens, au lieu qu’un mauvais homme étant libre de se lever et de parler, il trouve ce qui est bon pour lui et ceux de son espèce. Mais, dira-t-on encore, quel bon avis un pareil homme donnera-t-il au peuple ? Nous répondons à cela que l’ignorance

  1. Les comédies d’Aristophane sont pleines de nombreuses railleries contre cette avidité des charges rétribuées.
  2. Nouveau persiflage.