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lement à ne pas témoigner de reconnaissance, mais encore à n’en pas montrer autant qu’on le pouvait. Qui serait aussi fondé à l’accuser d’avoir volé l’État, lui qui abandonnait à la patrie les récompenses mêmes qui lui étaient dues ? Avoir été contraint, quand il voulait faire du bien à sa ville natale ou à ses amis, de recourir à des emprunts, n’est-ce pas une preuve convaincante de son désintéressement ? S’il eût trafiqué de ses services et vendu ses bienfaits, personne n’aurait cru rien lui devoir. Il n’y a qu’un service gratuit qui attache de bon cœur à celui qui le rend, et cela, en raison du service même, puis de la confiance où l’on est que le bienfaiteur croit à la reconnaissance. Un homme qui préférait avoir moins, pour se montrer généreux, qu’avoir plus pour être injuste, pouvait-il, je le demande, ne pas se montrer éloigné d’une cupidité honteuse ? Or, quand la cité lui eut adjugé la succession entière d’Agis, il en abandonna la moitié à ses parents maternels, qu’il voyait dans l’indigence. J’en prends à témoin toute la ville de Lacédémone. Tithraustès lui fit des présents considérables, s’il voulait se retirer du pays. « Tithraustès, répondit Agésilas, on croit chez nous qu’il est plus beau pour un général d’enrichir son armée que de s’enrichir lui-même, et de s’emparer des dépouilles des ennemis que de recevoir leurs présents. »



CHAPITRE V.


Suite.


Du reste, parmi toutes les passions dont les hommes sont esclaves, en est-il une seule qui ait triomphé d’Agésilas ? Il avait pour principe de s’éloigner de l’ivresse autant que de la folie, des excès de la table autant que de l’oisiveté. Dans les repas en commun, il ne prenait jamais ses deux portions ; il se contentait d’une seule et laissait l’autre : il croyait que, si l’on donne plus au roi, ce n’est pas pour qu’il mange davantage, mais pour qu’il marque de la considération à ceux qu’il en juge dignes. Maître du sommeil et jamais son esclave, il le subordonnait aux affaires. Il eût évidemment rougi de n’avoir pas le plus mauvais lit parmi tous ses compagnons. Il avait pour principe qu’un chef doit se distinguer des particuliers, non par une vie