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bateaux, et nous ne pouvons le traverser sans embarcations, puisque nous n’en avons point. Rester ici, cela est impossible ; nous n’avons point de vivres. Mais pour aller rejoindre les amis de Cyrus, les victimes sont favorables. Voici donc ce qu’il faut faire : séparons-nous, et que chacun soupe avec ce qu’il a. Quand la corne sonnera comme pour le repos, pliez bagage ; au second son, chargez les bêtes de somme ; au troisième, suivez votre chef, la colonne des équipages longeant le fleuve, et les hoplites en dehors. » Ces ordres entendus, les stratéges et les lochages se retirent et font ce qui est convenu. De ce moment Cléarque commande et les autres obéissent, sans l’avoir élu, mais voyant bien qu’il avait la tête nécessaire pour commander, tandis que les autres étaient sans expérience. Voici le calcul du chemin qu’on avait fait depuis Êphèse, en Ionie, jusqu’au champ de bataille ; en quatre-vingt-treize étapes, cinq cent trente-cinq parasanges ou seize mille cinquante stades. Du champ de bataille jusqu’à Babylone, on disait qu’il y avait encore trois cent soixante stades.

Quand il fit noir, Miltocythe de Thrace, suivi de quarante cavaliers thraces, et d’environ trois cents fantassins de la même nation, déserta pour passer au roi. Cléarque se met à la tête des autres, ainsi qu’il l’avait annoncé ; les autres suivent, et l’on arrive vers minuit à l’ancien campement, où se trouve Ariée et sa troupe. On pose les armes devant les rangs, et les stratéges ainsi que les lochages se rendent auprès d’Ariée. Alors les Grecs, Ariée et les principaux de son armée, jurent de ne point se trahir et de rester alliés fidèles. Les Barbares jurent, en outre, de guider loyalement. En jurant, on égorge un sanglier, un taureau, un loup et un bélier ; et l’on en reçoit le sang dans un bouclier, où les Grecs plongent leurs épées et les Barbares leurs lances.

Ces gages donnés, Cléarque parle ainsi : « Voyons, Ariée, puisque vous et nous nous prenons la même route, dis-moi quel est ton avis sur la marche à suivre. Retournerons-nous par où nous sommes venus, ou bien connais-tu quelque autre route qui soit meilleure ? » Ariée répond : « Si nous retournons sur nos pas, nous mourrons tous de faim, puisque nous n’avons plus de vivres. Dans les dix-sept dernières étapes faites pour arriver ici, nous n’avons rien trouvé dans le pays, ou bien nous avons consommé en passant le peu qu’il y avait. Nous songeons donc à une route plus longue, mais où nous ne manquerons point de vivres. Nous ferons les premières étapes aussi fortes