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ils n’ont rien abandonné des inventions d’autrefois, mais ils s’ingénient tous les jours de raffinements nouveaux. Il en est de même des mets. Ils ont des inventeurs à gages dans les deux genres. L’hiver, ils ne se bornent pas à se couvrir la tête, le corps et les pieds ; ils ont les mains garnies de fourrures épaisses, et les doigts dans des étuis[1]. L’été, l’ombre des bois et des rochers ne leur suffit pas : ils ont recours à des procédés artificiels pour se faire de nouvelles ombres[2]. Ils ont un nombre infini de vases précieux, et ils en tirent vanité. Que tout ce luxe leur vienne par des moyens déshonnêtes, ils n’en rougissent nullement : tant ont fait chez eux de progrès l’injustice et l’amour des profits honteux.

Jadis, c’était une coutume nationale de ne jamais paraître à pied dans les chemins, et le but de ce règlement était d’en faire de bons cavaliers ; aujourd’hui, ils ont plus de tapis sur leurs chevaux que sur leurs lits, et ils sont beaucoup moins curieux d’être bien à cheval que d’être assis mollement. Pour ce qui regarde la guerre, comment ne seraient-ils pas aujourd’hui bien au-dessous de ce qu’ils étaient autrefois ? Au temps jadis, c’était une institution nationale suivie par ceux qui possédaient un domaine, d’y lever des cavaliers et de se joindre à l’armée ; et, lorsqu’il s’agissait de la défense du pays, les garnisons des places entraient en campagne moyennant la solde qu’on leur donnait. Aujourd’hui, portiers, boulangers, cuisiniers, échansons, baigneurs, valets chargés d’apporter ou de rapporter les plats, de mettre leurs maîtres au lit, de les réveiller, de les habiller, de les frotter, de les parfumer, de les ajuster en tout, voilà quels sont les gens dont les grands font des cavaliers, pour en toucher la solde. Ils en composent une masse, mais une masse inutile pour la guerre. Il est un fait qui le prouve, c’est que leurs ennemis parcourent plus librement leur pays que leurs amis.

Cyrus, afin d’empêcher les escarmouches, avait donné des cuirasses aux hommes et aux chevaux, avec un javelot chacun à la main, pour engager le combat de près. Maintenant on escarmouche de loin, mais on ne se bat jamais en en venant aux mains. L’infanterie a encore pour se battre, comme du temps de Cyrus, le bouclier, le sabre, la sagaris ; mais elle n’a

  1. Voilà l’invention des gants.
  2. « Je vouldrois sçavoir quelle industrie c’estoit aux Perses, si anciennement, et en la naissance de la luxure, de se faire du vent frez et des ombrages à leur poste, comme dict Xenophon. » MONTAIGNE, Essais, III, IX.