Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/432

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pouvoir sera-t-il honoré plus que par son frère ? Quand son frère est puissant, est-il quelqu’un à qui l’on craigne plus de faire injustice qu’à son frère ?

« Que personne donc ne soit plus prompt que toi à servir le tien, et avec plus de cœur ; car il n’est personne que doive toucher de plus près que toi sa bonne ou sa mauvaise fortune. Songe encore à ceci. De qui, après un service, pourrais-tu espérer une plus vive gratitude que de lui ? En qui, après l’avoir secouru, trouverais-tu un plus puissant allié ? Est-il quelqu’un qu’il soit plus honteux de ne pas aimer qu’un frère ? Est-il quelqu’un qu’il soit plus beau d’honorer qu’un frère ? Ton frère, Cambyse, ton frère est le seul qui, lorsque le sien est roi, puisse, sans exciter l’envie, occuper la seconde place.

« Je vous conjure donc, mes enfants, au nom des dieux de la patrie, ayez des égards l’un pour l’autre, si vous conservez quelque désir de me plaire ; car je ne m’imagine pas que vous regardiez comme certain que je ne vais plus rien être, quand j’aurai terminé cette vie humaine. Jusqu’ici vous ne voyiez point mon âme, mais par ses opérations, vous la reconnaissiez en moi. N’avez-vous pas remarqué de même de quelles terreurs les âmes de leurs victimes agitent les homicides, quelles vengeances elles tirent de ces impies ? Pensez-vous que le culte qu’on rend aux morts se fût constamment soutenu, si l’on eût cru leurs âmes privées de tout pouvoir ? Pour moi, mes enfants, je n’ai jamais pu me persuader que l’âme, qui vit tant qu’elle est dans un corps mortel, s’éteigne dès qu’elle en est sortie : car je vois que c’est elle qui vivifie ces corps périssables, tant qu’elle les habite. Que l’âme aussi cesse d’être raisonnable, au moment où elle se sépare d’un corps qui ne l’est pas, je n’ai jamais pu me le persuader : au contraire, c’est lorsque l’intelligence devient pure et dégagée de tout mélange, qu’elle a pleinement son essence intellectuelle. Quand le corps de l’homme se dissout, on voit les différentes parties qui le composent se rejoindre aux éléments auxquels elles appartiennent : l’âme seule échappe aux regards, présente ou absente.

« Vous savez que rien ne ressemble plus à la mort que le sommeil de l’homme : c’est alors que l’âme humaine approche le plus de la Divinité, et alors même elle prévoit l’avenir, sans doute parce qu’alors elle est entièrement libre. Or, si les choses sont comme je le pense, et si l’âme survit au corps qu’elle abandonne, faites, par respect pour mon âme, ce que je vous recommande. S’il en est autrement, si l’âme demeure avec le corps