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« J’ai été accoutumé dans ma patrie et dans la vôtre à voir céder non-seulement aux frères, mais aux citoyens plus âgés, le chemin, le siège et la parole ; et vous, mes enfants, je vous ai appris, dès l’enfance, à honorer les vieillards, et à être honorés par les plus jeunes. Acceptez donc une disposition conforme à nos lois, à nos anciens usages, à nos mœurs. Ainsi, toi, Cambyse, prends la royauté ; les dieux te la donnent, et moi ensuite, autant qu’il est en mon pouvoir. À toi, Tanaoxare, je te donne la satrapie des Mèdes, des Arméniens, et en troisième lieu, des Cadusiens. En te faisant ces dons, bien que je laisse à l’on frère un pouvoir plus grand et le titre de roi, je crois t’assurer un bonheur plus pur. Je ne vois pas, en effet, ce qui pourra te manquer de la félicité humaine. Tout ce qui paraît rendre les hommes heureux, tu l’auras. Aimer les entreprises difficiles à accomplir, avoir le souci de mille affaires, n’avoir pas un instant de repos, être aiguillonné par le désir de rivaliser avec mes actions, tendre des pièges, y être exposé, voilà quel sera Je sort de celui qui gouvernera plutôt que le tien, et ce sont là, sache-le bien, de grands obstacles au bonheur.

« Toi, Cambyse, n’oublie point que ce n’est point un sceptre d’or qui conserve la royauté, mais des amis dévoués sont pour un roi le sceptre le plus véritable et le plus sûr. Seulement, ne f imagine pas que les hommes naissent dévoués : si le dévouement leur était naturel, il se manifesterait chez tous comme les autres penchants naturels. Mais il faut que chacun travaille à se faire des amis dévoués : leur acquisition ne se fait point par la violence ; elle est le fruit des bienfaits.

« Au reste, si tu veux avoir quelques auxiliaires de la royauté ne choisis personne avant celui qui est issu du même sang que toi. Nos concitoyens nous touchent de plus près que les étrangers ; nos commensaux, que les hommes qui vivent sous un autre toit : et ceux qui sont formés du même sang, nourris par la même mère, élevés dans la même maison, chéris des mêmes parents, qui donnent aux mêmes personnes les noms de père et de mère, pourraient-ils donc n’être pas unis par les liens les plus étroits ? Ces liens si doux par lesquels les dieux resserrent l’intimité des frères, ne les relâchez jamais ; qu’ils vous fassent accomplir, dans une vie commune, tous les autres actes de l’amitié : c’est le moyen d’assurer à jamais la durée de votre union. C’est travailler pour soi que de veiller aux intérêts d’un frère. Car pour qui la grandeur d’un frère est-elle plus glorieuse que pour son frère ? Par qui un homme investi d’un grand