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Pendant le repas, Gobryas ne trouva point surprenant que la table d’un si puissant monarque fût largement servie, mais il ne vit pas sans étonnement qu’un homme revêtu d’un si grand pouvoir, loin de se réserver ce qui pouvait être de son goût, prît à tâche d’inviter ses convives à le partager avec lui, qu’il fît même porter, comme il le voyait, à ses amis absents, les mets dont il aurait pu manger avec plaisir.

Remarquant également que, pendant le repas, Cyrus envoyait de différents côtés tout ce qu’on desservait, et la desserte était grande : « Pour moi, Cyrus, dit Gobryas, je ne te mettais au-dessus des autres hommes que pour ta supériorité dans l’art militaire ; mais je jure par les dieux que tu es encore plus fort en philanthropie qu’en stratégie. — Par Jupiter ! il est vrai, dit Cyrus : et je me signale plus volontiers par des actes philanthropiques que stratégiques. — Comment cela ? dit Gobryas. — Parce que, dans le second cas, il faut se signaler en faisant du mal aux hommes, et dans le premier, en leur faisant du bien. »

Quand on eut un peu bu, Hystaspe dit à Cyrus : « Te fâcherais-tu, Cyrus, si je t’adressais la question que je veux te faire ? — Non pas, répond Cyrus ; j’en atteste les dieux ; au contraire, je me fâcherais contre toi, si je m’apercevais que tu ne me dis pas ce que tu voulais me demander. — Dis-moi donc alors si jamais, quand tu m’as appelé, j’ai manqué de venir. — Pas de mauvaises paroles, dit Cyrus. — En t’obéissant, t’ai-je obéi avec nonchalance ? — Non, vraiment. — Quand tu m’as donné un ordre, ne l’ai-je point exécuté ? — Je ne me plains pas. — Dans tout ce que je fais, est-il une chose où tu puisses me reprocher d’agir, non pas sans empêchement, mais sans plaisir ? — Pas le moins du monde, dit Cyrus. — Pourquoi donc alors, Cyrus, au nom des dieux ! as-tu porté Chrysantas pour avoir une place plus honorable que la mienne ? — Te le dirai-je ? répond Cyrus. — Assurément, dit Hystaspe. — Et tu ne te fâcheras pas, à l’on tour, si je te dis la vérité ? — Je serai bien aise, au contraire, de voir que tu ne m’as point fait d’injustice. — Chrysantas donc, dit Cyrus, n’a jamais attendu mon appel, mais, avant d’être appelé, il était là pour tout ce que nous avions à faire ; et non-seulement il exécutait ce qui lui était ordonné, mais il faisait de lui-même tout ce qu’il croyait pouvoir nous être avantageux. Si j’avais besoin de conférer avec des alliés, il me conseillait ce qu’il croyait convenable de leur dire : s’il soupçonnait que je voulais leur faire savoir certaines choses, et que