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sion que les dieux ont mise dans nos âmes, en nous faisant tous pauvres, je ne puis la dominer en moi ; je suis avide de richesses comme tous tes autres ; mais il y a entre eux et moi cette différence : quand ils ont plus d’argent qu’il ne leur en faut pour leurs services, ou ils l’enfouissent, ou ils le laissent rouiller, ou ils se donnent bien du mal à le compter, à le mesurer, à le peser, à le remuer, à le contempler ; cependant, avec tout cet argent dans leurs coffres, ils ne prennent pas plus d’aliments que leur estomac ne peut en contenir, autrement ils crèveraient ; ils ne se couvrent pas de plus de vêtements qu’ils n’en peuvent porter, autrement ils étoufferaient ; de sorte que ces biens superflus ne sont pour eux qu’une gêne. Moi donc, cédant aux dieux, je désire toujours de nouvelles richesses ; mais, une fois qu’elles sont acquises, je subviens aux besoins de mes amis, quand une fois les miens ont été satisfaits : en enrichissant les uns, en faisant du bien aux autres, je m’assure une amitié bienveillante d’où je recueille le repos et la gloire, fruits qui ne pourrissent point et dont l’excès ne fait point mal : plus la gloire s’accroît, plus cet accroissement donne de grandeur et de beauté, plus son poids s’allège, plus elle semble donner de légèreté à ceux même qui la portent. Apprends donc, Crésus, que je n’envisage pas comme le souverain bonheur d’avoir de grands biens uniquement pour les garder : en ce cas, les plus heureux des hommes seraient les soldats en garnison, puisqu’ils gardent tout ce qu’une ville renferme. Mais celui qui, après avoir acquis des richesses par une voie juste, sait en user avec noblesse, celui-là est, selon moi, le plus heureux des hommes. » Voilà ce que disait Cyrus, et ce qu’il disait il le faisait aux yeux de tous.

De plus, comme il avait observé que les hommes, tant qu’ils se portent bien, sont attentifs à se procurer et à mettre en réserve tout ce qui sert dans l’état de santé, mais qu’ils négligent de se munir de ce qui est utile dans les cas de maladie, il voulut remédier à ce défaut de prévoyance ; et, n’épargnant rien sur ce point, il appela auprès de lui les meilleurs médecins pour l’aider dans cette œuvre, n’entendant point parler d’instruments utiles, de remèdes, d’aliments, de liqueurs salutaires, qu’il ne voulût en avoir provision. Si quelqu’un de ses familiers tombait malade, il veillait lui-même à son traitement et lui faisait donner les secours nécessaires. Le malade recouvrait-il la santé, Cyrus remerciait les médecins de l’avoir guéri avec les remèdes qu’il avait chez lui. Tels étaient, avec d’autres en-