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beaux ceux qui le portent ; la chaussure médique étant faite de manière à placer dedans, sans qu’on s’en aperçoive, de quoi paraître plus grand qu’on n’est. Il approuvait l’usage de se peindre les yeux, afin de paraître avoir de plus beaux yeux qu’on n’en a, et de se farder pour se donner un plus beau teint que de nature[1]. Il recommandait de ne jamais cracher ni se moucher en présence de personne, et de ne détourner jamais la tête pour regarder quoi que ce soit, comme n’étant affecté de rien. Tout cela lui semblait propre à empêcher les chefs de se déconsidérer.

Tous ceux qu’il croyait susceptibles du commandement, il les faisait se revêtir, s’exercer ainsi, et se donner un extérieur respectable : ceux, au contraire, qu’il destinait à l’esclavage, loin de les exciter à embrasser la vie laborieuse des hommes libres, il ne leur permettait pas même l’usage des armes ; mais il veillait à ce qu’ils eussent de quoi boire et de quoi manger en vue des exercices libéraux. Ainsi, quand ils rabattaient le gibier vers les cavaliers dans la plaine, il leur permettait d’emporter des vivres pour la chasse, ce qui était défendu aux gens de condition libre ; dans les voyages, il les conduisait vers l’eau, comme des bêtes d’attelage : quand il était l’heure de dîner, il s’arrêtait pour les faire manger, afin qu’ils ne fussent pas atteints de boulimie. De cette manière, ces gens, aussi bien que les nobles, l’appelaient leur père, quoique ses soins ne tendissent qu’à perpétuer leur esclavage.

Voilà comment Cyrus affermit dans son entier l’empire des Perses. Pour lui, personnellement, il ne craignait rien des peuples qu’il venait de soumettre : outre qu’il les voyait lâches et divisés, aucun d’eux ne l’approchait ni la nuit, ni le jour. Cependant il voyait encore parmi eux des hommes distingués, qui se tenaient en armes et demeuraient unis, et il savait qu’il y avait des chefs de cavaliers, et d’autres de fantassins. Il reconnaissait à certains les sentiments et le talent requis pour commander. Ces mêmes hommes communiquaient fréquemment avec ses gardes et venaient souvent le visiter lui-même : rencontre inévitable, puisqu’il les employait aussi à son service : il y avait donc danger de leur part et de plusieurs côtés. Aussi réfléchit-il aux moyens de se mettre à l’abri de leurs tentatives,

  1. « Avec ces amples vêtements, dit M. Adolphe Garnier, ce fard et surtout sa coiffure artificielle, Cyrus nous apparaît comme le précurseur de Louis XIV, et Xénophon comme son grand maître des cérémonies. » Mémoire sur Xénophon, p. 52.