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qu’ils ne dégénèrent point de leur ancienne vertu. Cependant, pour ne pas avoir l’air de leur donner un ordre, mais afin que leur persévérance et leur amour pour la vertu leur soient inspirés par la conviction que c’est là pour eux le meilleur, il rassemble les homotimes, tous ceux dont la présence est nécessaire ou qu’il estime les dignes compagnons de ses travaux et de sa gloire, et leur parle ainsi :

« Amis et alliés, rendons de grandes actions de grâces aux dieux de nous avoir accordé les biens auxquels nous nous croyions le droit de prétendre. Nous possédons aujourd’hui un pays vaste et fertile : nous serons nourris par ceux qui le cultivent : nous ayons des maisons, et, dans ces maisons, tous les meubles qu’il faut. Que nul de vous ne considère donc ces biens comme n’étant point à lui ; car c’est une maxime éternelle chez tous les hommes que, quand on prend une ville, tout ce qui se trouve dans la ville, corps et biens, appartient aux vainqueurs. Loin donc que vous détruisiez injustement les biens que vous avez, ce sera une concession de votre philanthropie, d’en laisser quelque chose aux vaincus. Quant à ce que nous avons à faire à partir d’aujourd’hui, je suis d’avis que, si nous nous livrons à la paresse, à la vie molle de ces hommes, qui pensent que c’est être misérable que de travailler, que le bonheur souverain consiste à vivre oisif, je puis vous prédire tout aussitôt qu’après être devenus des êtres inutiles, nous serions bientôt privés de ce que nous avons acquis. Il ne suffit pas, pour persévérer dans la vertu, d’avoir été vertueux ; on ne s’y maintient que par de continuels efforts. Mais, de même que le talent qui se néglige s’affaiblit, que les corps les plus dispos s’engourdissent dans l’inaction ; ainsi la prudence, la tempérance et le courage, si l’on se relâche de leur exercice, dégénèrent en perversité. Préservons-nous donc du relâchement ; ne nous laissons pas aller au plaisir. Car, selon moi, c’est un grand œuvre de conquérir un empire, mais c’est un œuvre plus grand encore de conserver ce qu’on a conquis : conquérir, en effet, ne demande souvent que de l’audace ; garder ce qu’on a conquis ne peut se faire sans prudence, sans modération, sans soin extrême. L’œil sur ces vérités, exerçons-nous à la vertu plus encore qu’avant de conquérir ces biens, convaincus que plus vous avez, plus il y a de gens qui vous jalousent, vous tendent des pièges, vous deviennent hostiles, surtout si l’on a, comme nous, établi par la force sa fortune et sa puissance.

« Nous devons croire que les dieux seront avec nous ; car