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pas de préférence : c’était notre propre intérêt qui nous avait attirés à ton service : il fallait, par tous les moyens, gagner la foule, afin qu’elle partageât de bon cœur nos fatigues et nos dangers. Aujourd’hui, puisque non-seulement c’est ton humeur, mais que tu peux te faire beaucoup d’amis dans l’occasion, il est juste que tu aies une habitation digne de toi. En effet, que gagnerais-tu en pouvoir, si tu demeurais seul, sans un foyer, la plus aimée de toutes les propriétés humaines, la plus chère, la plus légitime ? Penses-tu, d’ailleurs, que nous pourrions te voir, sans rougir, exposé aux injures de l’air, tandis que nous serions à couvert sous nos toits et que nous aurions, en apparence, un sort plus doux que le tien ? » Aussitôt que Chrysantas a dit ces mots, tout le monde y applaudit. Alors Cyrus se rend au palais, où ceux à qui ce lieu avait été commis apportent les richesses de Sardes. À peine entré, Cyrus offre un sanglier à Vesta, puis un autre à Jupiter-Roi, et aux autres dieux que les mages lui indiquent.

Cela fait, il s’occupe d’organiser le reste. Considérant qu’il entreprend de commander à un nombre infini d’hommes, et qu’il se dispose à fixer sa demeure dans la plus grande ville de l’univers, et que cette ville lui est aussi hostile qu’on peut l’être à un souverain, il sent la nécessité d’une garde pour la sûreté de sa personne ; et, comme il sait qu’on n’est jamais plus exposé qu’à table ou au lit, durant le sommeil, il examine à qui, dans ces différentes situations, il peut se fier davantage. Or, il calcule qu’on ne doit jamais compter sur la fidélité d’un homme qui en aime plus un autre que celui qu’il a mission de garder ; que ceux qui ont des enfants, des femmes, des mignons, avec qui ils vivent en bonne intelligence, sont naturellement portés à les chérir plus que tous les autres ; tandis que les eunuques, étant privés de ces affections, se dévouent sans réserve à ceux qui peuvent les enrichir, leur venir en aide si on les opprime, et les élever aux honneurs ; qu’aucun autre que lui ne peut leur procurer ces avantages : de plus, comme les eunuques sont ordinairement méprisés, ils ont besoin d’être à un maître qui les défende, parce qu’il n’y a point d’homme qui ne veuille, en toute occasion, l’emporter sur un eunuque, à moins qu’il ne soit protégé par un plus fort. D’ailleurs, un eunuque fidèle à son maître ne lui paraît pas indigne d’occuper une place importante. Quant à ce qu’on dit fréquemment que les eunuques sont des lâches, ce n’est point pour lui un fait démontré. Il se fonde pour cela sur l’exemple des animaux. Des chevaux fougueux