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on dit que sa femme, assise à terre, soutient sur ses genoux la tête de son mari, qu’elle a revêtu de ses plus beaux vêtements. » En entendant ces mots, Cyrus se frappe la cuisse, et, sautant à cheval, court, suivi de mille cavaliers, à ce triste spectacle.

Il ordonne d’abord à Gadatas et à Gobryas de prendre tout ce qu’il a de plus riches ornements, pour en revêtir cet ami mort en brave, et de le suivre ; puis, à ceux qui ont des troupeaux de bœufs, des chevaux, ou toute autre espèce de bétail, d’en amener un grand nombre à l’endroit où il se rend et qu’on leur désignera, pour les immoler à Abradatas.

Dès qu’il aperçoit Panthéa, assise à terre et le corps de son mari gisant devant elle, il fond en larmes, et dit avec douleur : « Hélas ! âme bonne et fidèle, tu es partie, tu nous as quittés. » En même temps il prend la main du mort, mais cette main reste dans la sienne : un Égyptien l’avait coupée d’un coup de hache. À cette vue, Cyrus sent redoubler sa douleur. Panthéa jette des cris lamentables, reprend cette main à Cyrus ; la baise et essaye de la rejoindre au bras : « Ah ! Cyrus, s’écrie-t-elle, voilà comme il est tout entier ! Mais à quoi te sert de le regretter ? C’est à cause de moi, Cyrus, qu’il en est venu là, et, peut-être aussi à cause de toi ! Insensée ! je l’engageais continuellement à se montrer, par ses actions, digne de ton amitié : et lui, il ne songeait point au sort qui l’attendait, mais aux moyens de te servir. Et cependant il est mort sans reproche : et moi, qui lui donnais ces conseils, je vis et je suis assise près de lui. »

Durant tout ce temps, Cyrus fond en larmes sans prononcer une seule parole ; mais enfin rompant le silence : « Oui, femme, il a eu la fin la plus glorieuse ; il est mort vainqueur. Accepte ce que je te donne pour son corps. » Gobryas et Gadatas venaient d’apporter une grande quantité d’ornements précieux. « D’autres honneurs, continue Cyrus, sache-le bien, lui sont encore réservés : on lui élèvera un tombeau digne de toi et de lui, et on immolera en son honneur les victimes qui conviennent à un brave. Pour toi, tu ne resteras point sans appui : j’honorerai ta sagesse et tes autres vertus ; je te donnerai quelqu’un qui te conduise, où que tu veuilles aller. Dis-moi seulement où tu désires qu’on te mène. » Panthéa lui répond : « Ne te mets pas en peine, Cyrus : je ne te cacherai point vers qui j’ai dessein d’aller. »

Après cet entretien Cyrus se retire, prenant en pitié la femme privée d’un tel mari, le mari qui ne doit plus revoir