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point engagé avec moi dans le péril, mais je te priais seulement de m’envoyer quelques-uns de tes cavaliers. Si cette demande était une offense, surtout quand j’avais déjà combattu pour toi comme allié, tu devrais bien me le démontrer. » Cyaxare garde encore le silence. « Eh bien ! puisque tu ne veux pas répondre, dit Cyrus, dis-moi du moins si je t’ai offensé lorsque, sur ta réponse, que tu ne voulais pas troubler la joie des Mèdes et les forcer à une marche périlleuse, je me bornai, au lieu de te témoigner mon ressentiment, à te demander ce que je savais te coûter le moins, et ce qui était le plus facile pour toi d’ordonner aux Mèdes ; car je te priai de m’accorder les hommes qui voudraient me suivre. En l’obtenant de toi, je n’eusse rien fait, si je ne les avais persuadés : j’allai donc les trouver ; je les persuadai ; et ceux que j’avais persuadés, je les emmenai avec moi sous ton bon plaisir. Si cette conduite te paraît criminelle, recevoir un don de ta main serait, il faut le croire, se rendre coupable. Nous voilà donc partis. Depuis notre départ, qu’avons-nous fait qui ne soit connu de tous ? N’avons-nous pas pris le camp des ennemis ? La plupart de ceux qui marchaient contre toi ne sont-ils pas morts ? Bon nombre des ennemis survivants n’ont-ils pas été privés, les uns de leurs armes, les autres de leurs chevaux ? Les richesses de ceux que tu voyais autrefois enlever et emmener les tiennes, ne les vois-tu pas enlever et emmener par les amis qui te les donnent ou qui les gardent avec ton autorisation ? Mais ce qu’il y a de plus grand et de plus beau, tu vois ton pays accru et celui des ennemis amoindri : plusieurs de leurs châteaux en ton pouvoir ; les tiens, que les Syriens avaient enlevés, rentrés sous ton obéissance. Si ce sont là de mauvais ou de bons procédés, je serais fort embarrassé de te faire cette question. Je suis prêt cependant à t’écouter : ainsi, dis-moi ce que tu penses. » Cyrus ayant ainsi parlé se tait, et Cyaxare reprend en ces mots : « Non, Cyrus ! tout ce que tu as fait là, on ne saurait dire que ce soit mal ; seulement sois sûr que plus ces biens sont considérables, plus je m’en sens accablé. Ton pays, j’aimerais mieux l’avoir agrandi avec mes troupes que de voir le mien augmenté par les tiennes ; car tout ce que tu as fait de bien tourne, pour moi, à mon déshonneur. Il me serait bien plus agréable de faire des présents que de recevoir ceux que tu m’offres aujourd’hui : enrichi par toi, il me semble que je n’en suis que plus pauvre. Voir mes sujets froissés par toi dans leurs intérêts me causerait une douleur moins grande, que les voir en ce moment comblés