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soin. Songe aussi que tout ce que j’ai encore t’appartient. Ja n’ai point, je n’aurai jamais personne issu de moi à qui je puisse laisser mon bien ; mais il faut qu’avec moi périssent et ma race et mon nom. Cependant, Cyrus, j’en prends à témoin les dieux, qui voient et qui entendent tout, je n’ai mérité mon sort ni par une parole ni par une action injuste ou honteuse. » Or, en disant ces mots, il se met à pleurer son malheur, et ne peut en dire davantage.

Cyrus, en l’entendant, prend pitié de son infortune, et lui dit : « Eh bien, j’accepte les chevaux, et je crois te rendre service en les donnant à des gens mieux intentionnés pour toi que ceux qui les montaient. Je vais au plus vite, ainsi que je le désire depuis longtemps, porter à dix mille le nombre des cavaliers perses. Remporte tes autres biens, et garde-les jusqu’à ce que tu me voies assez riche pour ne pas te céder en générosité : si tu t’en allais après avoir plus donné que reçu de moi, j’en atteste les dieux, je ne pourrais m’empêcher de rougir. » Gadatas répond : « Mais c’est un dépôt que je te confie ; car je connais ton caractère : vois si je suis en état de les garder. Tant que nous étions amis avec l’Assyrien, il n’y avait pas de séjour plus beau que le domaine de mon père. Le voisinage de l’immense Babylone[1] nous procurait tous les avantages d’une grande ville ; et tous les inconvénients, nous pouvions les éviter en nous retirant chez nous. Aujourd’hui que nous sommes ennemis, il est certain qu’aussitôt que tu seras éloigné, nous serons

  1. Nous trouvons dans Herder des réflexions intéressantes sur la situation et sur l’étendue des grandes cités assyriennes et orientales à l’époque de Cyrus, et durant la période primitive des antiques conquérants de l’Asie. « Que pouvaient être les premières villes qui ont été bâties par les monarques assyriens ? Les fortifications d’une horde nombreuse, le camp fixe d’une tribu qui, maîtresse de ces fertiles contrées, faisait ça et là des incursions pour porter le pillage dans d’autres lieux. De là, la vaste enceinte de Babylone, une fois qu’elle eut étendu ses fondements des deux côtés du fleuve. Les murs n’étaient que des remparts d’une argile cuite, élevés pour protéger un camp immense de Nomades ; les tours servaient à placer des sentinelles. Traversée dans tous les sens par des jardins, la ville entière était, suivant l’expression d’Aristote, un Péloponèse. Le pays fournissait en abondance les matériaux propres à cette espèce d’architecture naturelle aux Nomades ; principalement de l’argile, avec laquelle ils formaient des briques, et du bitume, dont ils apprirent à faire un ciment. Ainsi la nature les aidait dans leurs travaux, et, une fois que les fondements eurent été jetés dans le ptyle nomade, il était aisé de les enrichir et de les embellir, quand la horde avait fait des excursions, et qu’elle revenait chargée de butin. » Herder, Idées sur la philosophie de l’histoire de l’humanité, liv. XII, chap. i, t. Il, p. 150 de la trad. d’Edgar Quinet.