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ses servantes autour d’elle : elle avait des vêtements semblables à ceux des esclaves. Lorsque, voulant connaître quelle est leur maîtresse, nous les avons considérées toutes, l’une après l’autre, elle nous paraît alors bien différente de toutes celles qui l’entourent, couverte d’un voile, quoique assise, et les yeux attachés à la terre. Nous la prions de se lever : toutes les femmes se lèvent en même temps : elle les surpasse d’abord par sa taille, puis par sa vertu et par sa décence, malgré l’extrême simplicité de son extérieur. On pouvait voir couler ses larmes, les unes le long de ses vêtements, les autres jusqu’à ses pieds. Alors le plus âgé d’entre nous : « Courage, femme, lui dit-il ; nous savons que ton mari est beau et bon ; mais celui auquel nous te destinons, sache-le bien, ne lui est inférieur ni en beauté, ni en esprit, ni en puissance. Oui ; d’après notre estime, si quelqu’un est digne d’admiration, c’est Cyrus, de qui tu vas dépendre désormais. À peine cette femme a-t-elle entendu ces mots, qu’elle déchire le voile qui lui couvre la tête et se lamente : toutes ses servantes se mettent à jeter des cris avec elle. Elle nous laisse voir ainsi la plus grande partie de son visage, son cou, ses mains : et sois certain, Cyrus, d’après ce que j’ai pu en juger aussi bien que ceux qui étaient avec moi, qu’il n’y a jamais eu, et qu’il n’y aura jamais en Asie de créature aussi belle. Mais d’ailleurs, viens la voir. » Cyrus répond : « Non pas, par Jupiter, surtout si elle est telle que tu dis. — Et pourquoi ? dit le jeune homme. — Parce que, si, maintenant que j’entends dire qu’elle est belle, je me laisse aller à désirer la voir, je crains, ayant peu de temps à moi, qu’elle ne m’engage beaucoup plus vite encore à revenir la voir : et je négligerais ainsi ce dont j’ai à m’occuper, pour demeurer sans cesse à la regarder. »

Alors le jeune homme se mettant à sourire : « Crois-tu donc, Cyrus, dit-il, que la beauté puisse contraindre un homme qui ne le veut pas, à agir contre son devoir ? Si la beauté de la nature avait ce pouvoir, elle nous contraindrait tous également. Tu vois le feu ; il brûle également tout le monde, parce que c’est sa nature ; mais les uns aiment la beauté, les autres ne l’aiment pas : l’un aime l’un, l’autre l’autre. L’amour, en effet, dépend de la volonté, et l’on aime qui l’on veut aimer. Un frère n’est point amoureux de sa sœur, mais un autre l’aime ; un père n’est point amoureux de sa fille, elle est aimée d’un autre : c’est que la crainte et la loi peuvent réprimer l’amour. Si cependant une loi défendait d’avoir faim, quand on a besoin de manger, soif, quand on est altéré, froid, l’hiver, et chaud, l’été, il n’est pas de