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s’approchent, ils sont l’un à l’égard de l’autre comme s’ils ne bougeaient pas. Par suite, il n’est pas d’être dont j’aie plus envié l’existence que les Hippocentaures, si tant est qu’ils aient existé, puisqu’ils avaient la prudence de l’homme pour raisonner, des mains pour accomplir tout ce qu’il faut, la vitesse et la vigueur du cheval pour atteindre ce qui fuit et arracher ce qui résiste. Devenu cavalier, je réunirai tous ces avantages : pour prévoir tout, j’aurai la prudence humaine ; de mes mains je porterai mes armes ; je poursuivrai, avec mon cheval, ce qui me résistera, je le renverserai d’un choc de ma tête ; et cependant je ne ferai point corps avec lui comme les Hippocentaures. Ce qui vaut mieux que d’être deux natures en une seule. Je m’imagine que les Hippocentaures ne devaient user ni de certains avantages dont jouissent les hommes, ni de certains plaisirs accordés aux chevaux. Pour moi, quand je serai cavalier, je ferai, à cheval, ce que faisait l’Hippocentaure : une fois descendu, je pourrai manger, m’habiller, et dormir comme les autres hommes. Ainsi je serai un Hippocentaure qui se détache et se rattache à volonté. J’aurai encore un autre avantage sur l’Hippocentaure : il ne voyait que de deux yeux, n’entendait que de deux oreilles ; moi, j’aurai quatre yeux pour observer, et quatre oreilles pour entendre. Car on dit que le cheval voit de ses yeux beaucoup de choses avant l’homme, et qu’entendant beaucoup de choses de ses oreilles, il en donne avis. Inscrivez-moi donc sur la liste de ceux qui désirent être cavaliers. — Par Jupiter, s’écrient tous les autres, et nous aussi ! » Cyrus reprend alors : « Puisque tel est le vœu général, pourquoi ne pas déclarer par une loi que ce sera un déshonneur chez nous pour tous ceux à qui je fournirai un cheval d’être remonté à pied, si peu de chemin qu’il y ait à faire ? De cette manière, partout les hommes nous prendront pour des Hippocentaures. » Ainsi parle Cyrus, et tous d’applaudir. De là l’usage qui s’observe encore chez les Perses, que jamais Perse, réputé beau et bon, n’y est vu, sauf contrainte, marchant à pied. Voilà quels étaient leurs propos.